Quentin Jaques – Le samedi 8 Mars 2025, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a organisé une journée de conférences consacrée à saint Thomas d’Aquin à l’École Saint-François-de-Sales à Onex, à l’occasion des 800 ans de sa naissance. Les conférences ont été données par M. l’abbé Claude Boivin, professeur d’histoire ecclésiastique et d’Écriture Sainte au séminaire d’Ecône, ainsi que M. Denis Ramelet, docteur en droit et chercheur en philosophie à l’Université de Neuchâtel.


À cette occasion, les conférenciers ont rappelé les contributions merveilleuses que le Docteur commun de l’Église a réalisé en tant que maître de la philosophie scolastique et de la théologie catholique, ce qui a fait de lui l’un des penseurs les plus influents du XIIIe siècle.


L’accomplissement majeur de Saint Thomas d’Aquin est d’avoir remis à jour dans le monde occidental la philosophie aristotélicienne datant de l’Antiquité tout en la réinterprétant à la lumière de la Révélation chrétienne, en la corrigeant des erreurs présentes et en condamnant ses dérives qui étaient incompatibles avec la doctrine catholique. Il a créé l’école de pensée thomiste, consistant principalement en un réalisme philosophique.


Saint Thomas d’Aquin fut avant tout l’élève de Saint Albert le Grand, un frère dominicain né à la fin du XIIe siècle et devenu évêque de Ratisbonne en 1260. Saint Albert est le premier à être entré en contact avec l’ensemble des écrits d’Aristote et, par la suite, il est devenu le premier penseur en dehors du monde islamique à les commenter dans leur totalité.


En choisissant Aristote comme modèle, lui qui avait écrit à la fois sur la métaphysique et l’étude du monde animal, Saint Albert s’est pleinement engagé dans le renouvellement de la science empirique en tant que méthode de recherche, explorant divers domaines tels que la logique, la théologie, la botanique, la géographie, l’astronomie, l’astrologie, la minéralogie, l’alchimie, la zoologie, la physiologie, la phrénologie, ainsi que le droit et la justice. Dans son ouvrage De Mineralibus, Saint Albert déclare «Le but de la philosophie naturelle (science) n’est pas simplement d’accepter les déclarations des autres, mais d’en rechercher les causes qui sont à l’œuvre dans la nature.» [1]


Il a donc étudié les idées d’Aristote de manière critique, en résolvant deux problèmes intellectuels étroitement liés. Tout d’abord il devait établir les fondements philosophiques de la science en tant que véritable connaissance pour la défendre contre les revendications des platoniciens, qui considéraient le monde matériel avec suspicion, mais il ne pouvait le faire qu’en établissant la connexion entre le logos du monde matériel (la raison) et le logos divin (le Verbe incarné), ce qu’Aristote s’est avéré incapable de faire. Pour mener à bien cette tâche considérable, Saint Albert avait donc besoin de l’aide de son élève le plus célèbre, Saint Thomas d’Aquin. Ensemble, l’élève et le maître reposaient sur les épaules de générations de géants intellectuels qui ont mis plus d’un millénaire à résoudre les problèmes auxquels Platon et Aristote, deux des plus grands esprits de l’histoire, s’étaient heurtés. [2]


Dans la pensée grecque antique, le logos est au départ le discours parlé ou écrit. Par extension, logos désigne également la raison, forme de pensée dont on considère qu’elle découle de la capacité à utiliser une langue ou des mots. Le logos, en l’homme, peut être simplement intérieur ; mais il peut aussi être extériorisé, énoncé. Il en va de même au plan divin. Le Logos peut être immanent en Dieu ; mais il en émane dans l’acte de création, qui est aussi manifestation. C’est alors le Logos «proféré». Dieu profère le monde. Le Logos est l’ensemble des énergies ou «puissances» par lesquelles Dieu crée, et se manifeste en créant. Le texte le plus beau se référant à la théologie du Logos est bien entendu le prologue de l’Évangile de saint Jean, avec sa célèbre formule «Le Verbe (Logos en grec) s’est fait chair» (cf. Jean 1:1). Nous avons ici une « chair » (Jésus-Christ, la deuxième personne de la Sainte Trinité) qui par l’incarnation est divinement structurée (corps-esprit) et qui exprime la Parole de Dieu. Jésus-Christ est donc le Logos incarné, prouvant qu’il est possible d’affirmer à la fois l’agence divine dans le monde tout en conservant l’intégrité de la nature humaine. [3]


La collaboration brillante et fructueuse entre ces deux générations de frères dominicains a donné naissance à l’œuvre incontournable qu’est la Somme théologique, le magnum opus intemporel de Saint Thomas d’Aquin, qui a repris le schéma du Livre des Sentences de Pierre Lombard (théologien scholastique du XIIe siècle), une des œuvres les plus importantes du Moyen Âge. Le recueil des Sentences fut le manuel de base de la théologie des universités européennes du XIIIe au XVIe siècle, date à laquelle il fut remplacé par les œuvres de Saint Thomas d’Aquin. C’est donc à Saint Albert et à son élève Saint Thomas d’Aquin que l’on peut humblement attribuer la citation suivante de Bernard de Chartres (philosophe platonicien du XIe siècle) : Nanos gigantum umeris insidentes «Nous sommes des nains sur les épaules des géants».


De même, il y a un célèbre proverbe romain qui dit Verba volant, scripta manent «Les paroles s’envolent, les écrits restent.» Aujourd’hui, plus de 750 ans après la publication de la Somme théologique, le temps a donné raison à Saint Thomas d’Aquin, dont l’œuvre a reçu l’approbation officielle et les louanges de plus de quinze papes successifs. Il demeure incontestablement le principal Docteur de l’Église ayant su présenter un traité théologique et philosophique exhaustif expliquant le lien entre la Foi et la Raison. Ce faisant, il a démontré la validité de sa pensée là où la doctrine de la double vérité d’Averroès (Ibn Rushd en arabe, philosophe musulman du XIIe siècle) a échoué. Averroès défendait l’idée selon laquelle il existerait une vérité selon la foi et une autre, opposée, selon la raison, affirmant que deux assertions contradictoires peuvent être vraies en même temps, abandonnant ainsi le principe de non-contradiction d’Aristote.


Pour conclure, méditons cette parole prononcée par le Pape Jean XXII lors d’une Allocution au Consistoire en 1318: «Saint Thomas a illuminé l’Église plus que tous les autres Docteurs, et on apprend davantage en une année à lire ses livres qu’en une vie entière à étudier la doctrine des autres.» [4]
Nous pouvons également la mettre en lien avec cette autre parole de l’Apôtre Saint Paul dans sa première épître à Timothée: «Que les prêtres qui gouvernent bien soient jugés dignes d’un double honneur, surtout ceux qui travaillent à la prédication et à l’enseignement.» (cf. 1 Timothée 5:17) —

Bibliographie :

Cet article a été rédigé à l’aide d’extraits des ouvrages suivants :
[1] Munier Charles. Saint Albert le Grand, De mineralibus (Coll. Sagesses chrétiennes, Paris, Cerf, 1995 : Revue d’histoire et de philosophie religieuses p. 349)
(https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1996_num_76_3_5412_t1_0349_0000_1)
[2] Jones, E. Michael, Logos Rising : A history of ultimate reality (South Bend, IN : Fidelity Press, 2020 : The beginning of Science pp. 344-350)
(https://www.fidelitypress.org/book-products/logos)
[3] Vernhes Jean-Victor, Logos et pneuma dans la théologie orientale (Modernités Russes, n°15, 2015 : Les reflets de l’Antiquité grecque à l’Âge d’argent p. 32)
(https://www.persee.fr/doc/modru_0292-0328_2015_num_15_1_1019)
[4] JEAN XXII, Alloc. hab. in Consistorio an. MCCCXVIII (Acta sanctorum, volume I de mars, 1318 : pp. 681-682)
(https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2018/01/07/les-louanges-des-papes-a-saint-thomas-daquin/)

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Newsletter N° 253 – 19 mars 2025 | Source : Perspective catholique