Abbé Alain René Arbez – Voltaire figure de proue des «Lumières»… Mais Thomas Carlyle relève le fait que «les Français, par ailleurs si sceptiques, croient en leur Voltaire»…
Le professeur Xavier Martin, historien spécialiste du XVIIIe siècle a abondamment documenté la face cachée des Lumières, référence incontournable des esprits se disant ouverts à la modernité et à l’humanisme. La promotion des Lumières est aux avant-postes de l’instruction publique.
Il se trouve qu’une phrase est souvent citée, attribuée à Voltaire par les champions de la tolérance : «Je ne partage pas vos idées, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez les exprimer». Le problème est que cette citation n’est pas authentique : c’est une invention d’un auteur anglo-saxon, Evelyn Beatrice Hall, qui dépeint dans son livre «The friends of Voltaire» le Voltaire idéalisé auquel elle vouait une admiration sans bornes.
Selon le professeur Martin, la réalité dément cependant les qualités révolutionnaires imputées à Voltaire. Le patriarche de Ferney recherchait la compagnie des puissants, il méprisait le peuple, et ses envolées sur la tolérance s’avéraient en réalité très sélectives. Son acharnement contre l’Eglise catholique, son aversion envers les Juifs, son rejet des peuples exogènes, toutes ces dérives intellectuelles sont automatiquement passées sous silence par les tenants de la laïcité qui l’ont statufié.
Déjà son attitude envers Jean Jacques Rousseau pose question : l’auteur du traité sur la tolérance n’hésite pas à dénoncer publiquement le fait que Rousseau a abandonné l’éducation de ses enfants, et il invite même les autorités genevoises à brûler ses écrits et à le «pendre comme un séditieux». Il a également intrigué pour faire incarcérer d’autres auteurs concurrents, et il a démontré sa profonde intolérance envers juifs et chrétiens. L’abbé Guénon a su lui faire face avec courage. (Voir mon article sur Dreuz « l’abbé Guénon défenseur des juifs face à Voltaire l’antisémite »)
Ainsi, le discours officiel sur les Lumières et leur humanisme botte en touche sur ces comportements haineux du philosophe. Les tenants de l’idéologie des lumières sont persuadés que cette période a renforcé l’idée d’une unité fraternelle du genre humain, alors que les déclarations des uns et des autres démontrent exactement le contraire.
Pour le professeur Martin, l’esprit de libre examen a été appliqué à la notion de l’humanité, mais cela a surtout abouti à en nier l’essence primordiale universelle. Il relève que cette philosophie a dilué le genre humain dans l’animalité, afin de disqualifier la conception biblique de l’homme. Des pans entiers de la famille humaine se retrouvent dissociés de l’humanité pleine et entière, des populations deviennent ainsi des «sous-hommes», concept qui fera carrière dans la propagande du IIIème Reich.
Pierre André Taguieff estime que le Siècle des Lumières est celui de la «construction intellectuelle du sous-homme». Trois pôles s’illustrent dans cet abaissement ciblé : les ethnies exotiques, le sexe féminin, et le peuple. Ces polarisations négatives conditionneront l’anthropologie du XIXe siècle. De façon documentée, l’historien expose la part très sombre des Lumières, à partir de déclarations philosophiques chez Voltaire, Rousseau, Diderot, Helvetius. Dans leur «humanisme», les races exotiques, les femmes, la religion, le petit peuple, ne valent pas grand-chose… Voltaire parle de «l’animal appelé homme», car l’homme ne serait qu’une convention. Ainsi sont niées les notions de genre, d’espèce, de dignité humaine. Les bases du déconstructivisme sont posées !
Selon ce concept flottant d’une vague humanité, les philosophes laissent libre cours à leur mépris pour les peuples lointains, Africains, Lapons, assimilés à des animaux. Selon les préjugés, ils peuvent être considérés comme animaux nobles ou comme animaux inférieurs. Ainsi, pour Voltaire, le physique des Noirs est une occasion de ridiculiser la Genèse : «une plaisante image de l’être éternel qu’un nez noir épaté avec peu ou point d’intelligence».
Dans cette approche philosophique prétendument lumineuse, les femmes sont séparées de la condition des hommes, car inférieures. Les philosophes, ayant une haute idée d’eux-mêmes, estiment les femmes incapables de penser. Dans le cas où l’une d’elle le ferait, ils regrettent qu’elle ne soit pas un homme ! Le qualificatif qui leur est alors attribué est «femelle». Espèce femelle, auteur femelle, religieux femelle, ces appellations méprisantes auront cours sous la Révolution. Mais la femme est aussi objet de consommation. Selon un surprenant raisonnement, c’est l’homme qui est la véritable victime du viol lorsque celui-ci survient, la femme étant accusée de ruse. Voltaire, Diderot, Rousseau et Benjamin Constant, et bien d’autres l’affirment.
Quant au peuple, la plèbe est jugée par Voltaire comme se situant «entre l’homme et la bête». Rousseau parle de «populace abrutie». D’Holbach de «populace imbécile». D’Alembert, «d’animal imbécile». Les expressions démophobes sont abondantes dans cette littérature. Voltaire culmine en disant : «C’est une très grande question de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts sur dix du genre humain, doit être traité comme des singes».
Le même mépris s’étend en particulier aux métiers manuels considérés comme non estimables. Les petites gens sont avilis. C’est une occasion de plus pour que Voltaire s’attaque au catholicisme et dévoile crûment son antisémitisme : «Jésus n’est pas seulement né dans un village de juifs, race de voleurs et de prostituées», il est charpentier, comble de la dégradation !

Que les journalistes, philosophes, militants, idéologues, et autres penseurs actuels qui se réclament quotidiennement des «Lumières» aient la bonne idée de prendre en compte ce que nous dit l’histoire réelle. —

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Newsletter N° 242 – 6 septembre 2024 | Source : Perspective catholique