Jean-Pierre Saw – Dans un entretien du 28 août avec Le Quotidien jurassien, le conseiller national socialiste Pierre-Alain Fridez présente son livre à paraître : «Les chars russes n’envahiront pas la Suisse, la bataille du Rhin n’aura pas lieu». Si le titre parle pour lui-même, résumons ici les points que soulève l’auteur :
• La Russie a des objectifs clairs et l’invasion de l’Europe n’en fait pas partie. Ils ne justifient en aucun cas un changement de politique envers l’OTAN.
• La diplomatie suisse a échoué avec le sommet du Bürgenstock. Elle a perdu toute crédibilité en jouant le jeu de la propagande ukrainienne sans inviter la Russie.
• La commission d’étude instituée par la conseillère fédérale Amherd, que l’auteur a quittée avant la fin des travaux, est une supercherie qui avait pour seul objectif d’apporter le soutien d’un groupe d’experts alibi.
La ligne du Département de la Défense (DDPS) consiste à prôner le rapprochement de l’OTAN («s’aligner», selon Monsieur Fridez) sans adhésion. Il s’agirait de s’entraîner avec les autres, d’apprendre des autres, de coordonner nos réactions, de jouer des scénarios et nos réactions communes. L’idée est tentante. Elle tente surtout les militaires qui rêvent d’aventure. Cependant, elle ne repose pas sur une analyse compréhensible.
Ainsi, dans son entretien du 24 septembre avec la RTS, l’ancien chef de l’armée Philippe Rebord pose d’abord un axiome : «L’intervention de la Russie change tous les paradigmes». Selon lui, nous avons affaire à une «armée adverse potentielle» qui affiche «une volonté d’engager ses capacités». Après avoir reconnu que Zürich était loin de Moscou (2591 km, selon google maps), il qualifie de «très sérieuse» une menace sur un pays balte. Admettons. Mais en quoi cela concernerait notre défense nationale ? Monsieur Rebord ne nous le dit pas ; il passe directement au constat que nos bataillons d’infanterie manquent de matériel. La défense de ses anciens protégés est appréciée, mais la démarche intellectuelle peine à convaincre, car Monsieur Rebord raisonne comme un membre de l’OTAN, tenu selon l’article 5 de la charte de se mobiliser lorsqu’un autre membre est attaqué. «Désinformation, propagande, et espionnage économique» représentent des menaces plus immédiatement évidentes que l’invasion de la Suisse. La menace russe ressemble donc plus à un prétexte qu’à un motif valable. C’est pourtant sur cette base qu’est recommandé le rapprochement de l’OTAN, «seul partenaire qui pourrait opérer avec nous» … mais contre qui ?
Nous rejoignons bien sûr le Commandant de corps lorsqu’il parle de «redonner ses lettres de noblesses à l’obligation de servir», puisque à ses yeux, le plus importants ce sont les «citoyens-soldats». A la base de notre armée, il y a effectivement une société ; or rendre à nos jeunes le sens du service, la conviction que rien n’est jamais acquis, qu’il faut s’engager pour préserver la paix, quitte à donner sa vie, nous paraît une noble aspiration. Que cet appel du pieds aux soldats et officiers ne serve cependant pas de trompe l’œil, car pour Monsieur Rebord, «La neutralité n’est pas un but en soi», mais «un outil de la politique de sécurité. C’est le Conseil fédéral qui décide de la façon dont il veut l’utiliser». Or l’article 185 de notre Constitution enjoint le Conseil fédéral de prendre «des mesures pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse.» S’en servir ou la servir : entre les deux, il y a un monde. —

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Newsletter N° 239 – 9 octobre 2024 | Source : Perspective catholique