Jean-Pierre Saw – Ce mardi 20 mai, le conseiller national Pierre-Alain Fridez venait présenter à la Nouvelle société helvétique (NSH) ses travaux sur la défense suisse. Paradoxalement, cet élu socialiste s’est imposé ces dernières années comme l’un des seuls parlementaires à s’investir de manière approfondie et continue dans le sujet, publiant trois ouvrages à la fois denses, accessibles et rigoureusement documentés (1). Bien qu’issu d’un parti qui prône l’abolition de l’armée, Pierre-Alain Fridez se démarque par une réelle capacité à interroger les postulats dominants de la politique de sécurité suisse.
Dans ces colonnes, nous avons déjà recensé son dernier ouvrage, Pourquoi les chars russes n’envahiront pas la Suisse, dans lequel il remet en question la narration alarmiste d’une menace directe venant de Russie. Son ouvrage précédent est consacré à l’achat controversé des avions F-35, sujet revenu au premier plan suite aux bouleversements géopolitiques récents. Si certains s’accommodent de ce contrat passé dans un cadre transatlantique apaisé, les critiques deviennent plus vives à mesure que les tensions s’exacerbent au sein même de l’OTAN. L’auteur parle, lui, d’«erreur grossière», voire de «scandale d’État». Nous y reviendrons.
L’élu jurassien dresse par ailleurs un diagnostic sévère de l’armée suisse : scandales, incohérences doctrinales, absence de boussole stratégique. Selon lui, l’évocation de menaces lointaines détourne l’attention de risques systémiques bien plus concrets contre lesquels il recommande une augmentation des effectifs de police et des garde-frontières. Implicitement, il reconnait donc des problèmes inhérents à nos sociétés occidentales, comme la criminalité transfrontalière, la fracture sociale, et le communautarisme, du moins chez certains de nos voisins.
Ces mesures de bon sens n’excluent cependant pas de conserver au sein de notre armée les capacités à réagir contre un large panel de menaces. Un débat public à ce sujet permettrait peut-être d’éviter de nouveaux gaspillages. La réflexion doit porter sur les éléments nouveaux de la guerre hybride, mais également sur la pertinence des armements traditionnels, comme les chars et les avions, par exemple. Moins optimistes que le conseiller national, nous ne considérons pas que « les démocraties » qui nous entourent soient de par leur système politique une garantie contre la guerre, surtout si la crise économique s’aggrave et que la cohésion sociale éclate. L’actualité démontre que le pacifisme des populations peut en effet coexister avec un bellicisme institutionnel.
Un dernier point mérite une attention particulière : celui de l’approvisionnement en armement et en munitions. À mesure que l’ordre mondial se recompose, ce sont désormais des pays situés entre la Turquie et la Chine qui parviennent à produire du matériel militaire de qualité aux coûts les plus compétitifs. Peut-on durablement ignorer cette évolution ? Le véritable obstacle réside sans doute dans un verrouillage culturel : une partie des élites décisionnelles suisses demeure intellectuellement et affectivement liée aux industries qu’elles considèrent «alliées». Pourtant, la remise en question récente du choix du F-35 montre qu’un débat plus large peut être lancé avec pour objectif de réduire notre dépendance stratégique à certains acteurs. —
(1) Pourquoi les chars russes n’envahiront pas la Suisse, Éditions Favre, 2023 ; Le choix du F-35 – Erreur grossière ou scandale d’État ?, Éditions Favre, 2022 ; Sécurité et défense de la Suisse – Casser les tabous, oser les solutions, Éditions Favre, 2020.
___________________________________________________________________________________
Newsletter N° 259 – 28 mai 2025 | Source : Perspective catholique