
C ar l’Église a besoin d’un bras temporel et même de beaucoup plus. Partout où elle n’a pas la collaboration sincère d’un pouvoir politique indépendant d’elle, elle ne peut survivre qu’en redevenant mystiquement, puis physiquement, une Eglise du silence, une l’Église des martyrs.
Et la réciprocité est certaine. L’ordre naturel ne peut être maintenu dans la vie sociale et culturelle que par un constant appui politique de l’Église militante.
En France, tout au long du XXe siècle, l’Église a de plus en plus refusé d’apporter un soutien militant aux organisations politiques qui défendaient le mariage, l’institution familiale, l’école chrétienne. On a donc eu le développement du divorce, une école publique marxisée jusqu’à l’os, l’institution du «droit» à l’avortement et au mariage homosexuel, l’Église et l’ordre naturel ont payé très cher la condamnation de l’Action française en 1926. Levée en 1939, la condamnation a cependant été maintenue en fait par la majeure partie de l’épiscopat, du clergé et des mouvements catholiques. La référence à Maurras, au nationalisme, au mouvement national y demeure une disqualification morale.
Il y a des solidarités inscrites dans l’ordre naturel des choses et vérifiées par l’expérience historique. L’universel déluge sociologique par lequel l’athéisme l’a emporté en Europe a submergé ensemble la philosophie chrétienne, le catéchisme traditionnel, la liturgie sacrée, le nationalisme, la culture classique des élites, la sainteté du clergé, les bonnes mœurs du peuple chrétien. Il existait d’étroites solidarités temporelles, qui n’étaient ni illégitimes ni arbitraires, entre la théologie thomiste, le nationalisme à la française, le catholicisme romain, la culture gréco-latine des élites, les bonnes mœurs en générales. Ces solidarités étaient d’ailleurs des filiations et des cousinages. On a eu tort de les méconnaître. Elles ont eu tort de se méconnaître mutuellement. Elles composaient une civilisation. Face à la subversion, face à l’inversion diabolique, elles étaient dans le même camp. Elles ont été submergées ensemble.
Toute concertation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel est infirme, ou trompeuse, quand le pouvoir temporel est sans foi ni loi morale. La concertation n’est fructueuse, pour le bien commun des sociétés, qu’entre l’Église et le pouvoir temporel du laïcat chrétien.
Pour exister en tant que tel, soit dans l’opposition aux tyrannies, soit dans le gouvernement de la cité, le pouvoir temporel du laïcat chrétien a besoin du soutien militant de l’Église. Et l’Église, pour n’être pas radicalement sans influence sur le droit familiale, sur l’instruction publique, sur la morale civique, a besoin d’un pouvoir temporel du laïcat chrétien. —
Jean Madiran, Une civilisation blessée au cœur (Éditions Sainte-Madeleine) :
Chapitre V – La victoire de l’athéisme
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Newsletter N° 223 – 10 juin 2024 | Source : Perspective catholique