Un comité de 87 personnalités, constitué notamment d’anciens conseillers fédéraux, professeurs et ambassadeurs, s’est réuni pour repenser la neutralité suisse. Ils ont présenté mercredi 29 mai un « Manifeste pour une neutralité au XXIe siècle ». L’objectif est de prendre le contre-pied de l’initiative « Sauvegarder la neutralité » qui vise à inscrire cette dernière dans la Constitution fédérale tout en la qualifiant de « perpétuelle et armée ». La guerre en Ukraine oblige effectivement à réfléchir sur ce principe si cher à la population, et si caractéristique de la Suisse à l’étranger.
Jean-Pierre Sow – Un comité de 87 personnalités, constitué notamment d’anciens conseillers fédéraux, professeurs et ambassadeurs, s’est réuni pour repenser la neutralité suisse. Ils ont présenté mercredi 29 mai un « Manifeste pour une neutralité au XXIe siècle ». L’objectif est de prendre le contre-pied de l’initiative « Sauvegarder la neutralité » qui vise à inscrire cette dernière dans la Constitution fédérale tout en la qualifiant de « perpétuelle et armée ». La guerre en Ukraine oblige effectivement à réfléchir sur ce principe si cher à la population, et si caractéristique de la Suisse à l’étranger.
Il faut accorder au Manifeste qu’une agression contre un pays européen offre un cadre différent d’une guerre entre nos voisins. Or, la neutralité suisse est née dans le contexte de guerres intra-européennes auxquelles la Suisse ne voulait pas participer. Marignan (1515) ayant laissé de mauvais souvenirs, les traités de Westphalie (1648) reconnaissent la neutralité helvétique, violée par l’invasion napoléonienne (1797), mais confirmée ensuite par le Traité de Paris (1815). Durant des siècles, le continent s’est déchiré, alors qu’aujourd’hui il tente de faire bloc. Serait-ce une bonne raison pour changer de politique ?
Pays neutre, la Suisse a servi lors des dernières guerres de zone tampon, de terrain de rencontre et de pays d’accueil. La neutralité lui permettait aussi de se distinguer et donc de se définir par rapport aux puissances qui l’entouraient, sans tomber dans le giron de l’une ou de l’autre. Menacée d’écartèlement de par ses différentes cultures, la Confédération refusait tout ce qui pouvait favoriser une partie contre l’autre. Cela ne l’empêchait pas de commercer avec tous. Et tous bénéficiaient de cette neutralité. A contrario, si l’Europe était attaquée de l’extérieur, la Suisse ne devrait-elle pas s’associer à l’effort commun ? Cette hypothèse ne doit pas être négligée, et l’initiative constitutionnelle la prévoit. Dans cette perspective qui fait l’unanimité, une défense nationale crédible représente la priorité.
Mais en réalité, d’avantage qu’un ennemi à nos portes, c’est surtout la défense de certains « principes » qui rapproche aujourd’hui les autorités suisses de celles des pays européens ; une vision du monde commune qui réunit pêle-mêle : la démocratie, le « droit international », les droits de l’Homme (et leur caractère « évolutif »), ainsi que la vision ultralibérale de la société qui en découle. Dans le cas d’espèce, le Manifeste mentionne bien le « péché originel » des tensions en Europe : l’invasion de l’Ukraine « en violation du droit international ». Faudrait-il dès lors défendre celui-ci jusqu’au dernier Ukrainien ? Ou y a-t-il confusion entre la fin et les moyens ?
Force est de constater que ces principes qui réunissent les élites européennes divisent le reste du monde. En tordant ce même « droit international », systématiquement invoqué en faveur des intérêts du plus fort, en associant trop souvent les « démocraties » à des guerres sanglantes, mais aussi en favorisant des évolutions sociétales qui s’éloignaient du droit naturel, les pays occidentaux ont engendré la défiance. Leur idéal démocratique a perdu de son prestige, tandis que les autoritarismes locaux se font fort de défendre les spécificités des peuples. En bref, le progressisme agressif a fait perdre toute légitimité d’universalisme aux « valeurs » invoquées par nos autorités.
A contre-courant de l’Histoire, nos Conseillers fédéraux se rêvent à présent en hérauts de ces mêmes « valeurs ». Au Bürgenstock, malgré la volonté initialement affichée, ils réuniront bientôt les alliés de l’Ukraine pour conforter un camp contre l’autre… et durcir les fronts. Notre gouvernement ne devrait-il pas plutôt lancer dans le silence le grand chantier qui consistera à redéfinir les principes communs de l’équilibre international de demain ? Voilà qui pourrait, d’une part réunir plus largement ; d’autre part faire l’unanimité au sein même de sa population. —
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Newsletter N° 223 – 10 juin 2024 | Source : Perspective catholique