Christian Bless
“Je ne puis plus me taire. Je ne dois plus me taire. (…) L’Église fait l’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle”. C’est sur ces fortes paroles que s’ouvre le dernier livre du Cardinal Robert Sarah et le reste de l’ouvrage se poursuit sur le même ton grave et véhément. En quelque 400 pages, l’auteur rédige une profession de foi dont nombre de pages sont magnifiques et nourrissent l’âme et l’intelligence du lecteur. Mais cette proclamation et la méditation des grands mystères révélés s’accompagnent d’une dénonciation argumentées des erreurs et des scandales qui ravagent la Sainte Eglise depuis des décennies déjà. L’analyse est sans complaisance, dûment développée dans une langue claire qui s’appuie sur ce ce qui a été cru partout, toujours et par tous, sans concession. Le prélat n’épargne pas le clergé en général et ses frères dans l’épiscopat en particulier, soulignant les lourdes responsabilités et les lâchetés: “Je déplore que nombre d’évêques et de prêtres négligent leur mission essentielle, qui est leur propre sanctification et l’annonce de l’Evangile de Jésus … »
Le soir approche et déjà le jour baisse (Fayard) est en principe un long dialogue entre le Cardinal et Nicolas Diat mais les réponses sont amples, elles permettent des développements en profondeur et les questions forment comme des sous-chapitre organisant la pensée. D’emblée, la réflexion se bâtit sur le roc de la foi intangible et du respect de la transcendance divine fondement des vérités révélées, enseignées par l’Eglise, défendues et illustrés par Mgr. Sarah tout au long de ces chapitres de belle manière. Cette brève recension n’a pas la prétention de résumer la richesse de cet ouvrage mais d’encourager le lecteur à suivre l’auteur dans sa contemplation et ses médiations sur la nature du sacerdoce, de la sainteté, les mystères liturgiques, la signification de l’autel du Sacrifice, avec des paragraphes lumineux sur la vie surnaturelle, l’adoration et la présence de Dieu dans l’âme, seul fondement objectif de la dignité humaine.
Aucune question n’est éludée, même les plus délicates, et les affirmations morales aujourd’hui violemment mises à mal sont traitées sans faux-fuyant, à la lumière des exigences de la nature humaine éclairées par la foi. Et si le Cardinal ne ménage pas le clergé et la hiérarchie ecclésiastique, il prend bien soin de distinguer que: “Lorsque nous parlons d’une crise de l’Eglise, il est important de préciser que l’Église, en tant que Corps mystique du Christ, continue d’être “une, sainte, catholique et apostolique”. (…) L’Église, comme continuation et prolongement du Christ dans le monde, n’est pas en crise”.
Son Excellence analyse en profondeur les conséquences temporelles de cette perte de la foi et de la vie intérieure: “ Cette perte de la foi est la racine profonde de la crise de civilisation que nous vivons. (…) toutes les institution humaines semblent aujourd’hui sur la voie de la décadence. (…) En perdant le sens de Dieu, on a sapé le fondement de toute civilisation humaine et ouvert la porte à la barbarie totalitaire.” Ce n’est pas un polémiste réactionnaire qui parle mais un fils de l’Afrique qui nous tend un miroir. L’auteur démonte avec finesse les ressors intellectuels et psychologiques du nihilisme qui ruine nos sociétés et de cette désespérance sous-jacentes aux évolutions “sociétales” comme disent les pédants contemporains.
Un bémol s’impose cependant. En effet, à la lecture de ce livre important, on ne peut s’empêcher de penser à la phrase de Bossuet, pas tout à fait exacte semble-t-il, à qui l’on fait dire: “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes”. Si, comme nous l’avons écrit plus haut, l’auteur dénonce avec vigueur les errements qui ravagent la vigne, il le fait, le plus souvent, en citant et au nom de pontifes, d’auteurs et d’événements qui ont sans conteste contribué, volets nolens, à ces dérives pour lequel Mgr. Sarah n’a pas de mots assez durs, ce qui peut même le conduire à quelques jugements injustes envers les personnes qui, bien avant lui, avaient sonné le tocsin. La culture et les sources du Cardinal sont trop vastes pour que l’ignorance puisse être invoquée. Alors, doit-on expliquer certains silences par une attitude de déni ou certaines choses ne peuvent être encore dites malgré le courage incontestable du prélat ? A moins qu’une infinie délicatesse, la volonté d’unir et d’apaiser, d’aller à l’essentiel, aient incité Mgr. Sarah à cette démarche. Ce parti-pris peut présenter quelque danger pour le lecteur non averti et brouiller sa perception des événements et des causes. Jean Madiran dénonçait cette manière de faire, de fait, commencer l’Église en 1960.
Ceci étant dit, il me semble que la grande richesse de ces pages doit permettre de dépasser une certaine irritation et ne pas nous priver d’une lecture méditative qui, au-delà des polémiques et des divergences de point de vue, nourrira la prière et la contemplation et contribuera aux renouveaux de l’Église contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront pas.
Lettre d’information N° 11 – 10 avril 2020 | Source : Perspective catholique