Péguy l’avait vu (L’hérésie du XXème siècle)

Que la dissidence des évêques à  l’égard du christianisme ait commencé il y a un siècle environ, nous en attestons le fait que Péguy, il y a près de soixante ans (1), voyait cette dissidence comme déjà accomplie.

Péguy, par imprécision globale, ou peut-être par discrétion, disait «les curés» ou «les clercs (2)». Mais comment «les curés» auraient-ils pu faire ce qu’il dit, sans que les auteurs véritables en soient «les évêques»? Nous savons maintenant, nous savons en toute clarté, qu’il faut dire non point «les curés», mais d’abord et surtout «les évêques», dans le sens et dans la mesure que précise notre Avant-propos.

Péguy disait en 1909 :

«Les curés travaillent à la démolition du peu qui reste. Ils y réussissent beaucoup. Il n’y a même que là-dedans qu’ils travaillent activement.»

«Et pendant ce temps-là les âmes se perdent. Aventurées, exposées, risquées, jouées, à tous les hasards de la route, risquées à toutes les infortunes spirituelles, intemporelles, temporelles, jetées à toutes les misères. Abandonnées.»

«Pour expliquer, je dis rationnellement, il faut dire le mot : un désastre, je ne dis pas un désastre de cette importance, un désastre aussi important, je dis un désastre de cet ordre, il faut qu’une faute du même ordre ait été commise.»

«Nul ne peut nier le désastre. Les clercs le nient, ne le nient point, le renient (…), ils invoquent « le malheur des temps « . C’est une manière de dire que cela leur paraît tout naturel. Ils s’y attendaient. Tant ils sont généralement modernes ; et, ceux qui en outre sont cuistres, modernistes.»

«Que les curés ne croient à rien, ne croient plus à rien, c’est la formule courante aujourd’hui, la formule généralement adoptée, et malheureusement elle n’est injuste que pour quelques-uns. Et l’on ne sait combien sont réellement modernistes. Peut-être les cinq septièmes et peut-être plus. Ils disent : « c’est le malheur des temps ». C’est une formule. C’est même une formule commode (…). Commode pour masquer la paresse, pour dérober aux autres, à tout le monde, peut-être surtout pour se dérober à soi-même leurs effroyables responsabilités (…). Il n’y a point de malheur des temps. Il y a le malheur des clercs. Tous les temps appartiennent à Dieu. Tous les clercs malheureusement ne lui appartiennent pas. On est épouvanté des énormes responsabilités qu’ils auront à soutenir; et ils sont peut-être les seuls auront à porter, qui soient engagés dans les responsabilités extrêmes. Voilà ce qu’ils ne veulent pas voir (…). Ce n’est un secret pour personne, et dans l’enseignement même on ne peut plus cacher, sinon peut-être dans l’enseignement des séminaires, que toute cette déchristianisation, que toute la déchristianisation est venue du clergé. Tout le dépérissement du tronc, le dessèchement de la cité spirituelle ne vient aucunement des laïcs. Il vient uniquement des clercs.»

«Ils veulent faire faire des progrès au christianisme. Qu’ils se méfient, qu’ils se méfient. Ils veulent faire faire au christianisme des progrès qui pourraient leur coûter, qui leur coûteraient cher. Le christianisme n’est nullement, il n’est aucunement une religion de progrès; ni (peut-être moins encore si possible) du progrès. C’est la religion du salut.»

«Dans le monde moderne tout est moderne, quoi qu’on en ait, et c’est sans doute le plus beau coup du modernisme et du monde moderne que d’avoir en beaucoup de sens, presque en tous les sens, rendu moderne le christianisme même, l’Eglise et ce qu’il y avait encore de chrétienté. C’est ainsi que, quand il y a une éclipse, tout le monde est à l’ombre.»

«Ils ne sont que des chrétiens  décentrés, des chrétiens décalés. Ils sont décalés de leur christianisme. Et ils feraient peut-être mieux de penser à s’y recaler. Car c’est dire qu’ils ne sont plus chrétiens, peut-être plus de tout, et purement, proprement modernes.»

«Il ne s’agit pas de perfectionner. Il s‘agit de tenir, de garder le point fixe. Et quand on a essayé, on trouve que ça n’est déjà pas si facile. Tenons, mon ami, gardons ce point fixe. Il y a des gens qui veulent perfectionner le christianisme. C’est un peu comme si l’on voulait perfectionner le nord, la direction du nord. Le gros malin qui voudrait perfectionner le nord. Le gros malin (…). Le nord est naturellement fixe; le christianisme est naturellement et surnaturellement fixe. Ainsi les points fixes ont été donné une fois pour toutes dans l’un et l’autre monde, dans le monde naturel et dans le monde surnaturel, dans le monde physique et dans le monde mystique. Et tout le travail, tout l’effort est ensuite au contraire de les garder, de les tenir. Loin de les améliorer au contraire».

«Ce qu’il y a d’embêtant, c’est qu’il faut se méfier des curés. Ils n’ont pas la foi, ou si peu. La foi, c’est chez les laïcs qu’elle se trouve encore.»

«Quand on lit «les évêques» là  où  Péguy  écrivait «les curés», il apparaît (il apparaît mieux) que cela «n’est injuste que pour quelques-uns».

On pourrait dans la même perspective interroger la signification de l’œuvre de Léon Bloy. Etc.

Et le jugement prononcé  à La Salette sur «le clergé» – et réciproquement l’attitude épiscopale à  l’égard de La Salette…

***

(1)   La première édition de L’Hérésie du XXe siècle a été publiée en 1968;
(2)   Ces citations de Péguy sont extraites de Véronique, dialogue de l’histoire de l’âme charnelle, d’après les Œuvres en prose, tome II, édition de la Pléiade, Gallimard 1957.


Lettre d’information N° 14 – 4 mai 2020
Source : L’Hérésie du XXe siècle – Editions Via Romana
Préface de Philippe de Jaeghere (2018)


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