Abbé Thibaud de Maillard (FSSPX) – L’encre a déjà beaucoup coulé à propos de la madone au paresseux des Bains des Pâquis. Les pétitionnaires choqués sont accusés de manque de nuance et d’intolérance. A ce titre, des internautes éclairés les qualifient d’intégristes primaires qui tirent sur tout ce qui bouge, hormis les vrais problèmes de l’Église catholique. A ces accusations légèrement discriminatoires et malveillantes, opposons quelques réflexions sur le « tout est permis » qui sert d’injonction de base aux fossoyeurs du respect dans un monde désenchanté.

De la représentation à la chose représentéeUtiliser un thème connu pour en tirer une sève nouvelle et adaptée aux mentalités du jour est évidemment un trait d’intelligence qu’il faut saluer, surtout s’il est fait avec goût, pondération et nuance. D’un strict point de vue esthétique, c’était le cas de cette affiche.Mais la difficulté gît plus haut. En effet, le plaisir esthétique de cette affiche n’existerait pas si son sympathique artiste n’avait pas donné au préalable une forme aux couleurs qu’il appliquait. Cette forme est celle de la Vierge Marie qui tient un paresseux. Le spectateur de cette affiche, à la vue des êtres représentés, obtient une satisfaction cognitive : de l’ordre de la connaissance. Il reconnaît Marie et un animal qui prend le temps de vivre. Donc, ici, satisfactions cognitives et esthétiques sont indissociablement liées.Il faut tirer les conséquences de ce constat philosophique de base.Il n’est concrètement pas possible de dissocier ici la Vierge Marie de l’œuvre d’art par laquelle elle est représentée. La représentation et la personne elle-même sont aussi intimement liées qu’un nom propre et la personne qu’il désigne. Ni séparées absolument, ni simplement identifiées, mais intimement liées.

Du respect de la chose au respect dans la représentationLe respect à donner à l’image de la Vierge sera donc de même ordre que celui que nous portons aux noms des personnes ou à leur image. Il suffit d’imaginer les politiciens en vue du jour, ou quelqu’autre personnalité, et de se demander comment nous aurions procédé pour utiliser leur image afin de promouvoir un programme ou une idéologie. C’est le droit à l’image qui règle la juste mesure à adopter dans ce domaine. De même : le droit d’usage de l’identité pour l’utilisation d’un nom déjà porté.Ici, la Vierge Marie n’est certes pas une personne qui détient une pièce d’identité à jour, et elle n’apparaît certes pas dégradée dans l’affiche qui nous occupe. Elle est simplement le levier d’une intention publicitaire. La question est de savoir si la personne impliquée est susceptible d’être utilisée pour les fins du commanditaire de l’affiche.

La Vierge Marie est mère de DieuLa réponse est non pour une raison simple. La personne impliquée appartient avant tout au domaine religieux. Elle rentre donc dans le champ du sacré. Le sacré est ce qui est séparé du profane. Le sacré appelle donc un comportement spécifique, différent de celui que nous adoptons avec les choses usuelles de la vie (profanes). Ce comportement consiste notamment à réserver les réalités sacrées (consacrées) à la fin religieuse qui leur est assignée.Un catholique ne demande pas que tous les incroyants vénèrent la Vierge Marie comme mère de Dieu en priant le chapelet quotidiennement. Simplement qu’ils traitent de façon respectueuse une personne respectable. Respecter, c’est porter un regard humble vis-à-vis d’un être dont on accepte de reconnaître l’excellence. Donc éviter de l’instrumentaliser à des fins commerciales, idéologiques ou simplement de communication. En utilisant l’image de la Vierge Marie, l’artiste doit tenir compte de l’épaisseur de la personnalité impliquée.Ce qui a particulièrement choqué le public, c’est que ce soit Marie qui soit touchée. En effet, la Vierge Marie est particulièrement aimée des croyants en raison même de sa consécration. Elle a offert sa virginité pour se consacrer à Dieu. Elle a totalement donné sa vie à son Fils Jésus. Elle nous a donc également donné entièrement sa vie pour nous sauver. La bonté de Marie est donc toute entière dans sa consécration, et c’est le motif pour lequel elle est tant aimée. On comprend donc pourquoi l’apparition d’un animal fait figure de violation. On ne joue pas avec l’image de sa mère. Parce que c’est un comportement immature qui déchire un lien d’amour filial. Quand on joue avec l’image de la mère de Dieu, l’affront s’appelle un sacrilège.

Du nominalisme au désenchantement du mondeIl faut donc d’abord reprocher aux amateurs de notre affiche-en-débat, non pas la malveillance ou l’extrémisme, mais une vision éclatée de l’art. Se trouvent séparés l’objet et la représentation, la dimension religieuse de la personne de la Vierge Marie et son utilisation présente. La conséquence de cette dissociation, constante dans notre société, est la perte du sens du respect. L’artiste pourra utiliser n’importe quelle représentation indépendamment de la valeur de son contenu. D’où une vision superficielle des choses parce que sans référence à leur profondeur.La vision philosophique qui autorise ce genre de représentation est nominaliste (elle dissocie une réalité d’avec le nom ou l’image qui y renvoie). Malheureusement, dans notre intelligence, la réalité s’accroche à ses représentations comme la poussière à nos chaussures. Refuser de reconnaître cette relation constante de notre pensée aux signes qui y renvoient, c’est s’exposer à utiliser n’importe quelle image, ou n’importe quel mot, pour traiter n’importe quelle réalité. D’où une vision de la vie et de l’art éclatée, superficielle et parfois irrespectueuse, voire blasphématoire, une vision sans grandeur, entièrement horizontale, en un mot : désenchantée.

Quand l’art (ré)-enchantera le mondeUne vision philosophique aristotélicienne de la vie veut être organique. Chaque chose à sa place, et une place pour chaque chose. A cette condition l’art est école de respect. En apprenant le respect pour les choses, l’art nous rend humble et nous dispose à lever le regard vers ce qui nous dépasse : l’artiste enfile le costume de son vrai rôle social : médiateur de grandeur.

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Newsletter N° 178 – 30 décembre 2023 | Source : Perspective catholique