Abbé Alain René Arbez – Pour cause de pandémie, le lavement des pieds célébré le soir du jeudi saint n’a pas eu lieu cette année dans les églises. On se souvient que ce rituel avait défrayé la chronique dans les années précédentes lorsqu’il avait été pratiqué par le pape François en incluant des musulmans. Sa main tendue du côté de la migration islamique en est sans doute l’explication. C’est pourquoi ce fait médiatisé et sans précédent a pu devenir objet de débat aux yeux de l’opinion catholique. On peut être respectueux du ministère de Pierre et réagir devant des postures que l’on ressent comme problématiques.

C’est l’évangile de saint Jean qui met en scène un récit du lavement des pieds de ses disciples par Jésus, et ce n’est pas une simple anecdote secondaire, c’est un message spirituel fort. Cela se déroule au milieu du repas de commémoration de la Pâque juive pour lequel le Maître a réuni ses amis durant sa passion. Le lavement des pieds est donc directement relié à l’eucharistie, le mémorial que Jésus institue et confie à ses apôtres dans le cadre du dernier repas.

Ce geste de service fraternel concerne spécifiquement les proches du Christ, qui partagent ses convictions, qui communient au don de sa vie avec foi. Et que certains suivront jusqu’au martyre. Or, en lavant à plusieurs reprises les pieds de migrants musulmans, le pape François a voulu donner un signal fort aux médias en cassant les codes selon l’idéologie inclusive, mais ce faisant il franchit une ligne blanche théologique à partir de laquelle on s’interroge légitimement.

Dans l’Église primitive présente au milieu des païens, il y avait la stricte discipline de l’arcane, c’est-à-dire que les non baptisés n’avaient pas accès à la liturgie sacrée de la messe. Il n’y avait en cela aucun mépris pour des personnes non chrétiennes, mais simplement la prise en compte respectueuse des réalités. Ce discernement s’est totalement perdu aujourd’hui, vu la pesanteur du relativisme ambiant et le manque de courage identitaire des responsables de communautés chrétiennes, sous prétexte d’inclusion.

Serait-ce la période des soldes ?
Quand le pape François, (animé par sa vision universaliste sinon mondialiste de type « Fratelli Tutti »), fait participer au rituel du lavement des pieds des migrants non chrétiens, il y a une sorte de banalisation récupératrice de ce geste recommandé par Jésus à ses proches dans un partage communautaire de convictions profondes qui engagent personnellement. Cette transgression équivaut à la mondanisation d’une liturgie qui ne peut avoir de sens que pour des croyants au Christ.

De plus, on peut se demander avec quel regard le monde islamique considère ce genre d’initiative de la part du chef de l’Église. La clé d’interprétation est certainement celle d’une soumission ou d’un abaissement de la chrétienté devant la présence musulmane en Occident. On ne peut oublier que la tradition islamique fait de Jésus un prophète musulman et que le jihad cherche à gagner du terrain par la dhimmitude dans tous les domaines. Un passage du coran évoque l’aubaine de la passivité et la naïveté de moines et de prêtres chrétiens lors d’invasions musulmanes.

Un des initiateurs de la croisade, Bernard de Clairvaux, était si attaché au lavement des pieds qu’il y voyait pratiquement un sacrement, mais seulement pour les baptisés. Il est vrai que la relation de foi personnalisée qui s’exprime à travers ce rite est singulièrement soulignée par l’évangéliste Jean. Jésus dit à Pierre : « Si je ne te lave pas les pieds, il n’y aura plus rien de commun entre toi et moi » (Jn13.8)

Que peut-il y avoir de commun entre un musulman et le Christ du jeudi saint, celui qui offre sa vie pour une rédemption ? Si Jésus avait voulu faire du lavement des pieds un geste purement convivial et ouvert à n’importe quel participant, incroyants et adversaires compris, il aurait convié au milieu de ses apôtres un centurion romain, un adepte des divinités grecques, un mage de la Décapole… Mais cela n’aurait aucun sens dans le contexte de la Pâque vécue dans la seule logique de l’alliance.

Selon l’évangile, le lavement des pieds est clairement connecté au mystère de la croix qui purifie les consciences de l’emprise du péché. Dans cette optique, quelle sera la place d’un musulman, alors que l’islam rejette frontalement la crucifixion et sa signification sotériologique?

Comment ne pas penser à la remarque de Calvin excédé par un certain ritualisme détaché de la signification originelle du geste : « Laver les pieds à quelques gens comme si on jouait une farce sur une scène ! Le vrai sens de l’ordre de Jésus est que nous soyons prêts à toute heure et tout le temps de notre vie à laver les pieds de nos frères ».

Étant donné la confusion des bonnes intentions ou des stratégies, il est donc urgent de purifier aujourd’hui les concepts théologiques, les approches spirituelles, afin de ne pas confondre fraternité humaine et fraternité de foi, car à ce jeu de dupes il y a beaucoup à perdre, alors même que les détenteurs d’incomparables valeurs bibliques sont si souvent mis en difficulté ou attaqués, soit par l’athéisme, soit par l’islam.

La démarche interreligieuse ne se justifie que dans le but de créer de meilleures relations humaines, mais à certaines conditions. Si elle se travestit en pseudo œcuménisme, la dérive s’avérera fatale ! Aux porteurs du flambeau de la révélation biblique, il est essentiel de connaître d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller.

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Lettre d’information N° 46 – 20 avril 2021 | Source : Perspective catholique