Jacques Dolonne – Dans le paysage religieux de la Suisse, le Valais a toujours été une terre chrétienne d’exception. Le sillon de cette vallée rhodanienne a en effet été abreuvé à la fin du IIIe siècle du sang des martyrs et en particulier de celui de la légion thébaine. Et l’abbaye de Saint-Maurice est aujourd’hui encore la plus ancienne de la planète continuellement en activité, à égalité avec le monastère Sainte-Catherine du Sinaï. Sans oublier les fils de saint Bernard de Menthon qui accueillent depuis un millénaire les voyageurs passant au sommet du col du Grand-Saint-Bernard pour gagner Rome par l’antique Via Francigena…

Et le XXe siècle n’est pas en reste de cet extraordinaire élan religieux. Le 22 septembre 1935 fut par exemple inaugurée à Lens par Mgr Bieler, évêque de Sion, une statue du Christ-Roi d’une trentaine de mètres qui domine aujourd’hui encore toute la vallée du Rhône. Cette statue matérialisait le respect de la morale chrétienne et du droit naturel par la société valaisanne très attachée, y compris dans ses corps sociaux, à la religion de ses pères. Mgr Bieler marqua l’inauguration du monument par la consécration au Christ-Roi du Valais «avec son peuple et son gouvernement». Dans son homélie, il expliquait que le culte rendu au Christ-Roi est un moyen de lutter contre ceux qui veulent supprimer «l’influence de Dieu sur les Etats, les écoles et les familles».


Protégé par sa double barrière alpine et surtout par la foi de ses habitants, le Valais avait encore à la veille du Concile Vatican II des allures de chrétienté. Aujourd’hui la grande majorité des catholiques valaisans ont perdu leur substance doctrinale (dans ma paroisse qui était autrefois très vivante la pratique religieuse régulière n’est plus que de 2,4%).
Mais comment est-on passé en si peu de temps d’un catholicisme fervent qui innervait une forte part du corps social du canton à un christianisme dilué et privatisé?


L’explication fondamentale de l’effondrement identitaire et social du catholicisme valaisan est à chercher ailleurs que dans les mutations de l’appareil étatico-juridique (séparation de l’Eglise et de l’Etat intervenue après le Concile Vatican II). Comme toutes les crises religieuses profondes, elle est avant tout spirituelle. Elle touche la foi et la relation à Dieu. Si la religion a perdu dans les années soixante-dix l’influence sociale et politique qu’elle exerçait auparavant, c’est que les catholiques ont connu une crise d’identité. Certains clercs valaisans l’ont présentée comme une crise de croissance, mais moi je pense que c’est une véritable crise théologique. Les idées du siècle ont transformé peu à peu la société chrétienne. Le soussigné se souvient des manuels français qui servirent dans les années 1970 à son éducation religieuse dans les petites classes et qui se distinguaient surtout par leur approche sociologique. Les saints, ces traditionnelles icônes de vertu et de charité données en exemple par l’Eglise, y étaient déjà remplacés par les nouveaux prophètes des temps modernes comme Martin Luther King ou Gandhi…


En 1977, le catéchisme Avec Jésus-Christ passait déjà quasiment sous silence la divinité du Christ pour insister constamment sur ses qualités humaines. Et je ne parle pas des manuels d’instruction religieuses actuels comme Enbiro, rédigé à part égale par des protestants car c’est un manuel suisse romand, et dans lequel les lecteurs catholiques ne reconnaissent même plus leur religion. Ces failles théologiques et pédagogiques qui ont accompagné et parasité la transmission de la foi ont conduit au binôme indifférentisme-relativisme religieux dans de vastes couches de la société valaisanne. Certes, la globalisation médiatique et son cortège télévisuel ont joué un rôle important mais n’expliquent pas tout et ne peuvent pas être la cause de tout. L’explication doit d’abord être recherchée du côté des prêtres, des parents, des «capitaines»… Il faudrait se recentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur les fondamentaux du christianisme. La volonté de certains de faire émerger une Eglise de la Parole face à une Eglise jugée trop sacramentelle n’a pas contribué à protéger la communauté catholique du naturalisme ambiant. S’il vient, le salut sera pourtant dû à une restauration du catholicisme valaisan vécue comme un ressourcement débarrassé des scories du temps et des modes, fussent-elles religieuses

___________________________________________________________________________________
Newsletter N° 119 – 30 janvier 2023 | Source : Perspective catholique