Yann Baly – En ce dimanche pluvieux d’avril 2021, dans les quartiers chrétiens d’Achrafieh et de Gemmayzé, aux façades portant encore les stigmates de la terrible explosion de 2020, les conversations matinales des Beyrouthins tournent autour de la performance télévisée accomplie par Youmna Gemayel, la veille au soir.

Elle était sur le plateau d’une émission à forte audience, redoutée par ceux qui se soumettent aux 40 questions posées, à l’enfilade, par une présentatrice vedette de la MTV sans concession pour ses invités. Youmna Gemayel ne s’est pas laissée déstabiliser, répondant du tac au tac et sans hésitation, décochant des flèches acérées pour commenter l’actualité libanaise et dénoncer les compromissions politiques qui étouffent le pays, laissant transparaitre son émotion à l’évocation de la résistance chrétienne que dirigea son père. « Haza el chebl min zakal assad ! » constate un commerçant de la rue Gouraud : « Ce lionceau vient de ce lion », « C’est bien la fille de Bachir ! ».

La ressemblance physique est effectivement saisissante. Les compagnons de Béchir Gemayel disent qu’elle en a la démarche et le regard. Désormais, l’on découvre que Youmna a également hérité de son sens de la formule et de sa force de conviction communicative.

Elle n’a que deux ans quand son père est élu président de la République libanaise puis assassiné, 21 jours plus tard, le 14 septembre 1982. Le matin du drame, Béchir Gemayel devra user de toute sa tendre persuasion afin que la fillette lui rende les clés de la voiture paternelle, dont elle ne voulait pas se dessaisir.
Youmna Gemayel préside désormais la Fondation Béchir Gemayel, qui maintient la mémoire du président-martyr, organise des séminaires, délivre des bourses universitaires ou des aides caritatives. Elle ne s’est jamais présentée à une élection – contrairement à son jeune frère Nadim, réélu en mai dernier député d’Achrafieh – mais quand on porte le nom Gemayel, la fibre politique et la passion patriotique ne sont jamais loin…
Alors que le pays du cèdre n’en finit pas de sombrer, victime d’une crise multiforme, otage de l’Etat dans l’Etat que constitue le Hezbollah, paralysé par une classe politique incompétente et trop souvent corrompue, Youmna Gemayel entend faire du quarantième anniversaire de l’élection et de l’assassinat de son père, l’occasion d’un sursaut chrétien et le point de départ d’une voie politique novatrice.

« Il faut redonner l’espoir aux Libanais en se fondant sur l’esprit des 21 jours de Bachir » confie-t-elle, faisant référence aux trois semaines qui se sont écoulées entre l’élection et l’attentat. Après sept années de guerre, le peuple libanais, toutes communautés confondues, a alors vécu un formidable moment d’espoir et un début de ressaisissement que nul n’a oublié. Alors qu’il n’était pas encore officiellement investi, la personnalité du jeune président, son autorité naturelle et son charisme vivifiant avaient déjà commencé d’opérer une métamorphose surprenante dans la vie quotidienne des gens. On ne s’était jamais autant senti fier d’être libanais. Une réelle volonté d’unité nationale montait de toutes les régions.

Youmna Gemayel entend retrouver cet esprit des « 21 jours » et en décliner les maîtres mots : souveraineté et indépendance, unité, respect de la dignité humaine et vérité. Béchir Gemayel avait fait du combat pour la vérité le fondement de son action politique. Pour lui, les malheurs du Liban n’étaient que la conséquence des mensonges rongeant la société libanaise et spécialement sa classe politique.
Son projet, Youmna Gemayel le conçoit comme une plate-forme politique et sociale, transcendant le cadre ancien des partis politiques, dépassant les rivalités de personne qui minent le camp chrétien. La fille de Béchir a un avantage certain : elle peut parler avec tous les chefs politiques notamment chrétiens, n’est l’otage d’aucune coterie et n’est inféodée à aucune puissance étrangère, ce qui, au Liban est un gage d’indépendance apprécié… Youmna est populaire dans la rue chrétienne, où l’on aime sa simplicité, sa proximité, son image d’épouse et de mère attentionnée d’une famille de quatre enfants symbolisant l’avenir du Liban qui veut continuer d’exister.
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Yann Baly, président de Chrétienté-Solidarité et auteur avec Emmanuel Pezé d’un Béchir Gemayel, paru en mai 2022 aux éditions Pardès, coll. Qui suis-je ? Le texte ci-dessus a été publié par Spectacle du Monde, automne 2022.

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Newsletter N° 118 – 25 janvier 2023 | Source : Perspective catholique