Jean-Pierre Sow– Le nouveau duo de choc à la tête de l’Etat sénégalais devrait amener un changement de cap dans la gestion des affaires publiques. Le renouvellement de la classe politique manifeste les bouleversements en cours en Afrique de l’ouest, notamment une certaine «désoccidentalisation». Les relations avec les pays du Sahel et les partenaires internationaux serviront d’indicateurs.

Les élections présidentielles sénégalaises se sont déroulées le 24 mars après des péripéties inédites. Elles ont porté à la présidence un homme récemment encore inconnu du grand public : Bassirou Diomaye Faye («BDF»), candidat à la place de son mentor Ousmane Sonko, inéligible. Ce dernier, provocateur et tranchant, avait milité depuis une dizaine d’années contre la corruption et pour une juste répartition des ressources. Il a été nommé premier ministre.

Dans leur programme «Pour un Sénégal souverain, juste et prospère», le tandem affiche l’ambition de rendre le Sénégal plus autonome. L’inspiration est «panafricaniste de gauche», ce qui influe sur l’orientation qu’il donnera à l’économie («endogène et souveraine») pour en faire bénéficier le peuple sénégalais («réappropriation de la souveraineté nationale»). L’idéologie semble cependant passer derrière l’urgence d’un certain pragmatisme.

En effet, les mesures du programme indiquent une vision lucide sur les faiblesses du pays, mélange d’héritage institutionnel français et de pesanteurs socioculturelles. Essentiellement, il faudra :
1. Déconcentrer et décentraliser les pouvoirs à des fins d’efficacité ; la «corruption endémique» au sein de l’administration sera combattue;
2. Créer de la valeur en passant par une réforme du code du travail et un soutien aux PME;
3. Financer le projet via la «formalisation de l’économie» et la bancarisation, ainsi que la renégociation des contrats internationaux d’exploitation des ressources.

En bref, c’est réellement la souveraineté du Sénégal, mentionnée 18 fois dans le programme, qui constitue la clé de voute. Dans ce cadre, l’Etat a un double rôle : celui de «parapluie» vers l’extérieur et celui de «moteur» à l’intérieur. Les premiers discours confirment les priorités et proposent un beau défi : le culte permanent du travail et du résultat. La révolution doit donc d’abord avoir lieu dans les esprits.

Vis-à-vis de ses partenaires internationaux, le Sénégal veut gagner en autonomie : émancipation face aux injonctions des institutions internationales et préférence nationale économique. S’inscrirait-il dans la dynamique de ses voisins ? Rappelons que dans six pays de la bande sahélienne, un putsch a mis en place des militaires, et que trois d’entre eux ont radicalement tourné le dos à l’ancien colonisateur pour se tourner vers la Russie (Mali, Burkina, Niger).

Dans l’immédiat, trois types de mesures pourraient donner le ton :

  • Symboliquement : la fermeture définitive de la base des Eléments français au Sénégal (EFS ou présence permanente des Forces armées françaises) ;
  • Economiquement : la renégociation des contrats internationaux et des partenariats et l’annonce de création d’une monnaie nationale ou régionale indépendante ;
  • Culturellement : la « généralisation de l’anglais à l’école », la « promotion des langues nationales », et un renforcement et l’insertion des écoles coraniques, avec pour corollaire une lente érosion de l’influence française et des fondements laïcs de l’Etat.

Notons en conclusion que les premières mesures du gouvernement indiquent une volonté de travailler sérieusement à développer les moyens de cette nouvelle politique.

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Newsletter N° 205 – 23 avril 2024 | Source : Perspective catholique