Christian Bless – La guerre en Ukraine a rattrapé notre pays dès le 28 février lorsque, par une héroïque décision, le Conseil Fédéral et Monsieur Ignacio Cassis ont décidé de se joindre aux vertueuses condamnations de la Russie et aux sanctions décidées par l’Union Européenne à l’encontre de la Russie. En franchissant la frontière ukrainienne, les troupes russes auront au moins eu le mérite de donner une leçon inaugurale de géographie à notre classe politicienne et médiatique qui, peu auparavant encore, ignorait probablement à peu près tout de l’Ukraine dont ils allaient soudain devenir des spécialistes infaillibles et passionnés. On aurait pu imaginer que des autorités politiques responsables se seraient donné le temps de la réflexion avant de se précipiter dans des décisions aussi lourdes de conséquences. En effet, comme le déclare sur son site l’étude d’avocats WilhelmGilliéron : « Les sanctions prises par la Suisse contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine sont sans précédent dans leur nature et leur mesure, et ébranlent certains principes de base de l’état de droit. » Pas moins !

Nos courageux édiles avaient dû cependant se renseigner auparavant puisque ce même cabinet d’avocat rappelle que ce nouveau train de sanction se fondait sur une ordonnance datant de 2014 et modifiée 64 fois depuis … C’est dire l’intérêt que notre classe politicienne témoignait à ce conflit, peut-être en oubliant qu’elles avaient été portées au pouvoir afin de défendre les intérêts de la population helvétique et, au premier chef, la souveraineté du pays ainsi que sa neutralité perpétuelle, rempart de cette souveraineté et de la sécurité des Confédérés. Mais nos autorités, qui avaient déjà perdu passablement de crédibilité pour nombre d’autres raisons, préférèrent tenter de se donner un rôle en fulminant des condamnations vigoureuses au plan international au lieu de garder une prudente réserve qui ménage un temps à la réflexion et permet d’offrir ses bons offices aux belligérants, au profit des populations et de la paix. Mais reprendre les sanctions édictées par d’autres pour des motifs troubles qui sont les leurs et non pas nécessairement les nôtres, comme de reprendre plus ou moins automatiquement les législations étrangères au prétexte que nous ne pouvons vivre isolés, cela ne s’apparente plus à de la politique au sens noble de ce mot mais certainement à une politique du chien crevé au fil de l’eau. Peut-être que le contribuable-électeur finira par se demander s’il est bien nécessaire de payer des salaires de plus de 470’000 francs par an pour rémunérer des fonctionnaires parvenus qui se contentent de reprendre les décisions de puissances étrangères qui, le plus souvent, sont contraires aux intérêts du contribuable-électeur ?

Le déclin du courage
Cette reprise systématique de ce que les puissants du jour pensent, déclarent et décident nous sert désormais de politique. Elle couronne l’incompétence et la lâcheté des politiciens que nous avons portés au pouvoir et dont le costume est de toute évidence trop grand. Cela est vrai de nos relations avec les organismes internationaux, l’UE, l’OTAN, les EU, l’ONU, mais également des politiques dites sanitaires et des lois désormais appelées « sociétales », parce qu’il faut dissimuler les révolutions sous des mots nouveaux qui impressionnent le chaland. La médiocrité de notre personnel politique, tous partis confondus, laisse pantois. La politique des feuilles mortes balayées par les vents de l’histoire. Et, pour citer Alexandre Soljenitsyne, « le déclin du courage », le triomphe de la veulerie et de la course à la gamelle. A quoi s’ajoute un personnel militaire mentalement otanisé. « La carrière, mon bon Monsieur » … Bruxelles, Washington … « et d’ailleurs on ne peut pas faire autrement ! »

La lâcheté doublée d’une capitulation intellectuelle. Nous revient en mémoire, une conférence devant un parterre d’officiers où ce haut-gradé de l’armée, dans les services de renseignement, avait débité une insipide présentation de la guerre en Ukraine et qui, au moment des questions se voit demander par un auditeur s’il connaît les travaux du Colonel Jacques Baud sur le sujet traité et ce qu’il en pense. Cet officier supérieur a le front de répondre par la négative ! Soit, il disait vrai et devrait être démis de ses fonctions sans délai pour incompétence, soit il mentait devant quelque deux cents officiers, hypothèse la plus probable, et devrait quitter ses fonctions ne pouvant plus mériter un quelconque respect de leur part. La gamelle, vous dis-je ! Il y a eu également ce haut-gradé qui a participé à un débat public sur la guerre en Ukraine avec trois autres intervenants, devant plus de deux cent auditeurs et qui ânonna quelques contre-vérités tellement ridicules sur la Russie et son armée qu’il perdit tout crédit, s’il en avait encore, et quitta la salle, a l’issue de la conférence, la tête basse, laissant derrière lui une assistance qui comptait nombre d’auditeurs connaissant concrètement la Russie et l’Ukraine de longue date. Voilà les politiciens civils et militaires qui assument l’avenir de notre Confédération. A leur propos, Alexandre Soljenitsyne écrit dans Vivre sans mentir : « nous avons peur simplement de faire le premier pas du courage civique ! Ah ! ne pas s’écarter du troupeau, ne pas faire un pas solitaire, pour risquer de se trouver tout d’un coup privé … » de la gamelle.

Gouverner par le mensonge
Alexandre Soljenitsyne a affronté ce monde du mensonge et du déclin du courage. Il nous a enseigné que s’il n’était pas en notre pouvoir d’arrêter le mensonge, nous pouvions au moins faire en sorte qu’il ne passe pas par nous. L’on peut penser beaucoup de choses de la guerre qui se déroule dans l’Est de l’Ukraine mais il est de notre devoir de considérer ces événements tragiques et complexes sous tous les angles et non pas de bêler ce que la logorrhée politicienne et médiatique nous impose à nos dépens.

Depuis le début de ce conflit, et même avant, nos autorités ont eu accès à une documentation abondante qu’ils auraient le devoir de mettre à profit pour élaborer une politique cohérente, conforme aux faits historiques et politiques et aux intérêts de la Confédération. Ces sources de documentation ne manquent pas. Le nom de Jacques Baud a déjà été mentionné. Plusieurs de ses ouvrages sont consacrés à cette tragédie dont nous subissons les contre-coups. Ils font l’objet d’une censure politique et médiatique à peu près absolue. Notre radio-télévision d’État, qui vit grassement sur notre poche, a-t-elle une fois seulement invité cet analyste expérimenté, ne serait-ce que pour lui donner la réplique et réfuter ses conclusions ? Et il est bien d’autres analystes qui, depuis deux ans et plus, ont décortiqué le contexte de ce conflit et dont nos autorités politiques et militaires auraient pu profiter. La liste est longue, ses membres et leurs discours pouvant être contestés mais dont l’honnêteté intellectuelle et le bien commun exigent qu’ils soient cités et interrogés : Scott Ritter, Jeffrey Sachs, John Mearsheimer, Brian Berletic, Colonel Douglas Macgregor, Alexander Mercouris, Pierre Collon, Michel Lorrain, Slobodan Despot, Guy Mettan, Arnaud Dotézac …  

En ce début d’année, le colonel français Jacques Hogard allonge cette liste, qui n’est de loin pas exhaustive, et publie chez Hugo Doc un livre sous le titre de La guerre en Ukraine, regard critique sur les causes d’une tragédie. Plus ramassé que les ouvrages du colonel Jacques Baud, il permet à un officier français expérimenté de nous présenter une analyse sous un autre angle, nourri d’abondantes références (malheureusement, pas toujours clairement identifiées), complétant celles de l’officier suisse (malheureusement, pas toujours clairement identifiées).

Les limites de cet article ne permettent pas de se pencher sur le fond de la question mais seulement de se demander si nos autorités politiques ont agi en fonction des intérêts de la Confédération ou de manière irréfléchie, sans maîtriser les tenants et les aboutissants de ce dossier crucial ? Sous l’influence d’une Russophobie diffuse, longuement analysée par Guy Mettan dans un livre consacré à cette pathologie culturelle et politique qui obscurcit les esprits ? (Russie-Occident, Une guerre de mille ans – Pourquoi nous aimons tant détester la Russie). Sous la pression de Bruxelles et de Washington, comme le soufflent certains ? Dans ce dernier cas, nous devons nous demander si la Confédération est dirigée par des hommes capables de résister à des pressions contraires à nos intérêts vitaux ? Sans doute qu’une commission d’enquête serait justifiée afin de déterminer dans quelles conditions ces décisions « qui ébranlent certains principes de base de l’état de droit » ont été prises. Ce serait l’occasion de conduire une enquête analogue à propos de ladite « crise sanitaire » et des mesures disproportionnées et liberticides prises sur base de fausses informations, une fois encore afin de reprendre les mesures de certains de nos voisins. Surtout en ces périodes tourmentées, la Confédération a besoin d’hommes d’État et ne peut se contenter de remettre son avenir dans les mains de politicards parvenus à force d’intrigues et de bassesses. Mais peut-être que la politique partisane ne permet pas de sélectionner de tels hommes d’État ; il faut donc envisager de supprimer le système des partis et de créer un mode de représentation des besoins et des intérêts réels du pays par un autre moyen. Il est temps de relire Simone Weil qui proposait une « suppression générale des partis politiques. » Mais c’est là un autre sujet.

La reprise immédiate et sans réserve des sanctions, les restrictions imposées à certaines personnes au prétexte qu’elles étaient Russes, l’alignement de notre discours politique et la propagande de notre media d’État ont gravement compromis notre souveraineté et notre neutralité. Notre crédibilité dans le monde a été sérieusement écornée. La confiance en notre indépendance et dans la fiabilité de notre droit a fortement diminué. En attendant de pouvoir nous donner des autorités politiques capables de défendre les intérêts de notre pays et de modifier le statut de notre média d’État, nous pouvons nous réjouir du succès remporté par l’initiative défendant la neutralité et apporter notre soutien à la campagne qui s’annonce. Quelles contorsions va donc exécuter notre Conseil fédéral pour recommander aux citoyens de la rejeter ? L’ambassade américaine à Berne saura exercer les pressions qui s’imposent.

Cette désastreuse politique intervient au plus mauvais moment, au moment où il apparaît tous les jours davantage que les équilibres dans le monde sont en train de se modifier profondément et qu’il n’était pas vraiment judicieux d’arrimer la Confédération encore plus étroitement à l’UE et à l’OTAN, bras armé de l’empire américain, qui subissent un revers important dans une guerre qu’ils ont largement contribué à provoquer. Revers militaire, géopolitique et économique. S’appuyant sur d’intéressantes études politiques et stratégiques, le colonel Hogard analyse les conséquences d’une défaite probable de ces puissances en Ukraine. Ce ne sont pas les pages les moins intéressantes de cet ouvrage. Ces conséquences engagent notre avenir. En épigraphe de son livre, l’auteur a placé l’apostrophe de Charles Péguy : « Taire la vérité, n’est-ce pas déjà mentir ? Qui ne gueule pas la vérité, quand il sait la vérité, se fait le complice des menteurs et des faussaires ! » Il nous engage à refuser les mensonges que l’on prétend nous imposer.

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Newsletter N° 204 – 20 avril 2024 | Source : Perspective catholique