Henri Charlier (1) – L’Église faisait mémoire de la croix à partir du dimanche in Albis pendant tout le temps pascal jusqu’à l’Ascension, par une oraison spéciale ayant pour laude et vêpres une antienne particulière à chacun de ces heures canoniales. Pendant les joies pascales rappelons donc dans son esprit ce qu’elles ont coûté à notre Sauveur.

Jésus, sur la croix a crié : «J’ai soif !» Et saint Jean dit : «Afin que les Écritures fussent consommées.» Que dit l’Écriture ? Le psaume 21 porte (verset 16) : «Ma force est desséchée comme un tesson et ma langue s’attache à mon palais, et tu m’as réduit en poussière de mort.» C’est le «divin psaume» comme Bossuet l’appelait, celui que Jésus entonna sur la croix : «Eloï, Eloï, lamma sabactani !» Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?» Cette plainte était un enseignement, afin que les Juifs comprissent que lui, Jésus, était en train d’en accomplir les prophéties : «Ils ont compté tous mes os ; ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort.»

Oui, tout cela était en train de s’accomplir en ce moment même. Le psaume 68 ajoutait (verset 6) : «Et ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre (la boisson de l’escouade de soldats romains chargés de garder le gibet ; de l’eau vinaigrée). Ayant donc fixé à un javelot une éponge remplie de vinaigre, ils l’approchèrent de sa bouche. Lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : «Toutes choses sont bien accomplies (Consummatum est).

Saint Luc ajoute : «En poussant un grand cri, Jésus dit : «Père, je remet mon esprit entre tes mains.»

Ce qui suivit, le voile du temple qui se déchire, le tremblement de terre, acheva d’ouvrir les yeux des hommes droits qui avaient compris la portée du psaume entonné par Jésus. Saint Luc ajoute : «Et tous les groupes qui avaient assisté à ce spectacle, considérant les choses qui s’étaient passées, revenaient en se frappant la poitrine.» (Luc 26, 48)


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Jésus avait réellement plus que soif ; il était épuisé ; une nuit entière sans dormir, les soufflets des serviteurs des grands prêtres, le fouet de Pilate, le sang versé, puis la crucifixion, expliquent sans peine, hélas ! cette soif physique. Mais était-ce la seule soif de Jésus ? Oh non ! Il avait soif de quitter ce monde de péché, de voir réunie dans la bienheureuse éternité son âme d’homme unie au Verbe éternel dans l’unité divine de la Très Sainte Trinité. Il avait soif enfin de la conversion de ses bourreaux eux-mêmes et de tous les hommes.

En ce moment solennel de son existence sur la terre dans la dure condition humaine, au moment où tout allait être accompli, que penser de ce grand cri noté de tous les témoins et si contraire au cri d’un mourant qu’avait épuisé les sévices et la perte de sang ? Car saint Marc, rédigeant l’évangile de saint Pierre nous dit, comme saint Luc : «Jésus, ayant poussé un grand cri, expira.» Et saint Matthieu : «Jésus ayant de nouveau crié d’une voix forte, rendit l’esprit.»

Nous osons dire que c’est un cri de triomphe et d’amour au moment si étrange pour l’homme où l’esprit est séparé du corps. Quoique Jésus eût à supporter comme nous, à en subir l’étonnement du mystère, il était dans une condition telle de supériorité par rapport à nous qu’il avait publiquement déclaré ce que rapporte saint Jean au chapitre 10 de son évangile : «Mon Père m’aime parce que je donne ma vie pour la reprendre à nouveau. Personne ne me l’ôte, mais c’est moi-même que je la laisse ; j’ai le pouvoir de la laisser et de la reprendre : c’est le commandement que j’ai reçu de mon Père.»

Étant de condition divine, entièrement pur de tout péché, de toute imperfection, de toute faiblesse, comment Jésus n’aurait-il pas souffert de se trouver au milieu des pécheurs ? Il n’ignorait aucun de leurs péchés car, disent les évangélistes : «Il savait tout ce qu’il y a dans l’homme.» Tout ce qu’il y avait à souffrir avait pour cause ces péchés qu’il voyait s’accomplir dans le silence de la pensée adverse : il les voyait , sentait, détestait comme une offense à son Père et en même temps plaignait le pécheur et priait pour lui. Il n’était heureux qu’avec Marie et Joseph, le Juste. Petit, il balayait les copeaux ; plus grand, il enseignait à ses parents le mystère de la Très Sainte Trinité.

Quel modèle que la Sainte Famille pour la famille chrétienne ! Et l’on voudrait lui enlever ce soutien ? Vivre avec Jésus, Marie et Joseph comme ces modèles ont vécu leur vie familière, Marie faire le pain et raccommoder, Joseph à parer le bois, Jésus à s’apprêter au métier d’homme. Sans péché !

Jésus, sur la croix, avait donc soif de la conversion de ces hommes réunis au pied du Calvaire pour lesquels il mourait. Il savait ce qu’ils feraient des grâces accumulées sur leurs têtes. Les uns allaient s’en retourner en se frappant la poitrine ; d’autres en se réjouissant de s’être débarrasser si facilement du prophète.

Il ne savait pas que la Pensée divine avait tout pesé et offert son salut au monde par le moyen de leurs propres fautes.

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Avons-nous soif du salut de nos frères ? Ne condamnons-nous pas trop facilement les inconséquents, les froussards et les suiveurs des hérauts apparents de l’opinion mondaine ? Avons-nous soif, pour eux comme pour nous de probité et de pureté ? Songez aux deux larrons qui furent crucifiés en même temps que Jésus ; croyez-vous que la Sainte Vierge ne pensait qu’au glaive qui lui perçait le cœur ? Elle participait au mystère du salut et en avait pleine conscience. Comment n’aurait-elle pas prié à ce moment même pour le diacre et le sous-diacre du Sacrifice, les deux larrons qui mouraient en même temps que son Fils ? Elle est la seule qui, alors, en ce moment même, ait pu penser à ce qui se passait, comme les apôtres ont pu le faire après la Pentecôte, cinquante jours plus tard, ou nous autres après vingt siècles, comme au sommet de l’histoire du monde et à en traiter tous les acteurs comme d’éternels témoins.

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Malgré l’Évangile qui s’arrête à la mort même de Jésus, on peut penser que ces deux malheureux n’ont pas été en vain les personnages de ce drame unique. Ils vivaient encore sur le soir ; on leur brisa les jambes pour hâter la mort. A cause de la fête, il fallait qu’ils eussent disparu bien vite. Comment moururent-ils ? Dans la nuit, enterrés tout chauds, à demi-morts ?

Les amis de Jésus,

Et les hommes de Joseph d’Arimathie qui déjà s’approchaient
Portant le linceul blanc

ne pensaient qu’à lui. Seule la SainteVierge a pensé au supplicié, compagnon de la mort de son Fils, qui n’était pas encore converti. Nous en avons un indice dans l’apparition de Pontmain. La Sainte Vierge suivait les chants dont les habitants à genoux accompagnaient les récits des jeunes voyants. Quand ils chantèrent le cantique de pénitence : Mon doux Jésus… dont le refrain comporte le Parce Domine, «un crucifix rouge apparut que la Sainte Vierge tenait, avec tristesse, penché vers l’assistance comme un recours contre le siècle de persécutions qui alors allait suivre. Puis on chanta Avec maris stella. Le crucifix disparut, la Vierge se remis à sourire et deux croix blanches apparurent sur ses épaules ; on chantait : Solvi vincla reis… Enlève les liens des accusés.» Nous pensons que ces deux croix blanches, aussitôt après la présentation du crucifix, indiquent le salut des deux compagnons du supplice de Jésus que seule n’oublia pas Marie au pied de la croix.


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En ces jours où l’Église, tout au moins en France, ne parle guère que par son passé, il n’est pas étonnant que le Saint Esprit, dont tous les chrétiens sont le temple, inspire un peu partout un rappel de la gloire du ciel et du rôle éminent de celle que les litanies appellent : L’ARCHE D’ALLIANCE.

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(1) Les Propos de Minimus, tome I (DMM)

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Newsletter N° 196 – 31 mars 2024 | Source : Perspective catholique