Eric Bertinat – Nous avons quitté l’abbé Sheen, fraîchement ordonné et poursuivant ses études à l’université de Louvain, validant ainsi la première prédiction de Mgr John L. Spalding.

En 1924, l’abbé Sheen passe son doctorat en théologie sacrée de l’Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin à Rome. Puis retourne pour une année supplémentaire d’études en Belgique avant d’être appelé dans une paroisse à Londres. Nous sommes en 1926. Après quelques mois, il revient à Peoria, Illinois, comme curé de paroisse et se fait rapidement remarquer pour ses grandes qualités intellectuelles et ses diplômes universitaires. Craignant qu’une telle renommée nuise au jeune prêtre, Mgr Dunne, le deuxième évêque de Peoria, l’envoie dans la paroisse de St. Patrick, une petite paroisse du centre-ville de Peoria.

Durant cette période, l’abbé Sheen prêche sa première messe de Noël à Peoria, à l’église St-Marc et donne des conférences à l’Université Bradley, toujours à Peoria. Mgr Dunne apprécie ce jeune clerc obéissant et plein de zèle. Il décide de lui confier une chaire à la Catholic University of America, seule institution de l’enseignement supérieur fondée par la Conférence des évêques catholiques des États-Unis. Fulton Sheen y enseigna pendant 24 ans.

En 1930 l’abbé Sheen s’installe devant un micro et se lance dans un nouvel apostolat qui durera 22 ans avec le programme The Catholic Hour qui touche jusqu’à 4 millions d’auditeurs au plus haut de son audience. Puisant au plus profond de sa foi et de son érudition, le professeur Sheen aborde des sujets aussi divers que la dévotion à la Sainte Vierge qu’aux dangers du communisme. Charismatique, s’exprimant avec simplicité, il est à son aise grâce sa connaissance de la pensée philosophique de saint Thomas d’Aquin. Il prêche l’Évangile et montre comment l’appliquer concrètement dans notre vie de tous les jours. Tous les grands enjeux sociaux de l’époque sont abordés. Le succès est immense !

En réponse à ses émissions de radio, l’abbé Sheen reçoit un abondant courrier. En 1937, il écrivait dans une lettre adressée au recteur de l’université, Monseigneur Joseph Corrigan : Au cours de l’année écoulée, mon courrier requérait toute mon attention et s’élevait entre 75 à 100 lettrespar jour. Ceci, couplé à des cours jamais donnés avec moins de six heures de préparation chacun, m’a épuisé physiquement. Cependant le bien à faire est tel que je n’ose pas reculer devant ses opportunités d’apostolat.

Ce succès quasi-immédiat attire l’attention de la communauté catholique. L’abbé Sheen parcourt les Etats-Unis pour donner des conférences, des missions, des retraites, des homélies, des discours inauguraux et pour prendre la parole lors de réunions de diverses organisations catholiques. Bien que très occupé, il a non seulement maintenu son horaire d’enseignement mais a également écrit de nombreux livres. Il a publié 34 livres au cours de ses 23 années de carrière d’enseignant à l’Université catholique et des dizaines de brochures tirées de ses conférences radiophoniques hebdomadaires, ce qui donne une idée de ses capacités intellectuelles et physiques hors du commun. Connu pour travailler 19 heures par jour, il est toujours resté fidèle à son Heure Sainte eucharistique quotidienne.

Cette évangélisation «à grande échelle» fut telle qu’il convertit nombre d’Américains – depuis des célébrités comme Clare Booth Luce et Henry Ford II jusqu’aux banlieues ouvrières.

Une anecdote qu’il a racontée lui-même donne la mesure de ce personnage hors du commun.

Par un brumeux matin de novembre, alors que l’abbé ouvrait de l’intérieur la porte de l’église, une jeune femme, qui devait s’y être appuyé, s’affala devant lui.

– Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il.

– Où suis-je ? répondit-elle ?

– Vous êtes saoule ?

– Oui.

– Les hommes boivent parce qu’ils aiment ça mais les femmes boivent parce qu’il y a quelque chose qu’elles n’aiment pas. À quoi tentez-vous d’échapper ?

– J’ai une aventure avec trois hommes différents mais chacun commence à le soupçonner alors j’ai décidé de me saouler.

– Qui êtes-vous ?

La femme montra du doigt de l’autre côté de la place un nom en grosses lettres de néon sur la façade d’un théâtre. Elle était la vedette de la comédie musicale qui s’y donnait.

L’abbé la fit entrer dans l’église et lui fit boire une tasse de thé. « Merci » lui dit-elle.

Il lui répondit : « Non, ne me dites pas merci maintenant. Revenez cet après-midi avant la représentation et alors vous pourrez me dire merci.

– Je ne viendrai que si vous me promettez de ne pas me demander d’aller me confesser.

– Entendu, je vous promets de ne pas vous demander de vous confesser.

– Promettez-moi de nouveau que vous ne me demanderez pas de me confesser.

– Entendu, je vous promets de nouveau de ne pas vous demander de vous confesser.

Elle revint bien cet après-midi-là et l’abbé l’accueillit à la porte de l’église. Il lui dit qu’il y avait des tableaux de Rembrandt et de Van Dyke dans une chapelle et lui demanda s’il

lui plairait de les voir. Elle acquiesça.

Alors que nous longions le bas-côté de la nef pour aller voir les tableaux, je la poussai dans un confessionnal, je ne lui avais pas demandé si elle voulait aller se confesser… Trois mois plus tard, j’étais présent quand elle reçut le voile des Sœurs de l’adoration perpétuelle dont elle est toujours une religieuse à ce jour ».

Au moment où l’abbé Sheen quitta la Catholic University of America en 1950 pour devenir directeur national de la Société pour la propagation de la foi, il est déjà dans son pays le catholique le plus connu de son époque, c’est une véritable vedette.

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Newsletter N° 175 – 27 décembre 2023 | Source : Perspective catholique