Jean-Pierre Saw – Jeudi 28 novembre, la Nouvelle Société Helvétique recevait le journaliste économique François Schaller sur le thème : «Suisse-UE : Mythes et réalités». Celui-ci présentait l’Association Boussole/Europe, récemment constituée pour lancer l’initiative «Pour la démocratie directe et la compétitivité de notre pays – Contre une Suisse membre passif de l’UE» (Initiative Boussole). Cette initiative est née pour s’opposer aux accords institutionnels récemment négociés. Le comité qui la promeut est principalement composé d’entrepreneurs et d’indépendants qui ne partagent pas le discours d’economiesuisse, tout en se plaçant également dans une perspective économique. L’idée est de défendre les conditions-cadres (système politique et juridique) qui font de la Suisse un pays d’exception.
Dès la fin de la Guerre, la construction européenne est mise en place pour favoriser la coexistence des principaux pays européens et les positionner face au reste du monde. La Suisse, quant à elle, choisit l’alternative de l’AELE (Association européenne de libre-échange), qui n’a pas d’ambition politique. Entre 1979 (arrêt Cassis de Dijon de la Cour de justice européenne) et 1987 (Acte unique européen), le marché unique se constitue. D’économique, le projet devient clairement politique. Entre 1985 et 1995, Jacques Delors consolide la Communauté européenne et centralise les institutions ; il met en place la citoyenneté de l’UE. Avec la réunification de l’Allemagne en 1990, celle-ci devient le poids lourd de l’UE. En 1992, le Traité de Maastricht consacre le projet politique et le rebaptise «Union européenne».
Pendant ce temps, la Suisse s’oppose à l’EEE. En 2000, le peuple suisse accepte les bilatérales I sur la promesse du Conseil fédéral que l’immigration en provenance de l’UE ne dépasserait pas les 10’000 personnes (net) par an. En réalité, depuis l’entrée en vigueur complète de la libre circulation en 2007, l’immigration nette est de 48’000 Européens en moyenne par an (solde migratoire des ressortissants de l’UE/AELE en 2023 : 67’973). En 2005, les bilatérales II sont acceptées, mais les débats autour des accords Schengen-Dublin sont animés. À cette époque, 70% de la population rejette une adhésion ; la demande formelle est finalement retirée en 2016.
En 2005, le vote sur la Constitution européenne aboutit à des refus français et néerlandais. À partir de cette date, l’UE constitue une organisation sui generis, une association d’États à souveraineté partielle. La relation avec la Suisse devient alors plus directive. Placée au cœur de l’Europe, la Suisse indépendante et florissante devient une épine dans le pied de l’Union. Après le traumatisme du Brexit (2016), le nouvel objectif est une «participation» au marché et non seulement l’«accès». En 2019, une étude de la Fondation Bertelsmann révèle que, de tous les pays, c’est la Suisse qui bénéficie le plus du marché unique, ce qui amène l’UE à considérer que l’économie suisse en fait «de facto» partie. Elle doit donc en accepter les règles (directives, règlements, décisions), avec surveillance et régulation de la Commission européenne et juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Depuis 2013, l’UE vise à dissiper toute concurrence déloyale: les entreprises suisses doivent être soumises en Suisse aux mêmes conditions-cadres que les entreprises européennes. Après le refus de l’accord-cadre en 2021, un nouveau paquet vient d’être finalisé : la Suisse devrait reprendre le droit économique (évolutif) européen, et le marché du travail suisse deviendrait de jure un marché européen. Aux dernières nouvelles (20.12), le Conseil fédéral, dont la majorité a basculé en faveur de l’UE avec l’élection de Mme Baume-Schneider, devrait approuver les accords tout en les séparant en quatre paquets. Ainsi, trois nouveaux accords (santé, électricité et sécurité alimentaire) viendront s’ajouter aux cinq existants. Nous aurons alors adhéré de fait, mais sans être représentés au sein des institutions.
Le Conseil fédéral semble faire le dos rond face à l’Union européenne, car il craint ses sanctions, notamment dans le domaine de la recherche (programme Horizon Europe). Il craint également les échéances cruciales qui se joueront devant le Parlement, puis devant le peuple en cas de référendum(s). Nous reviendrons sur ces sujets brûlants. —
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Newsletter N° 246 – 23 décembre 2024 | Source : Perspective catholique