Abbé Michel Simoulin – Avant de retrouver Monseigneur sur le chemin d’Écône, il me plait de vous proposer l’échange des discours qui ont salué son départ de Dakar. Le ton est bien différent de celui qui accompagnera son départ du supériorat des spiritains. Ces textes sont extraits de « Horizons africains » de mars 1962, revue fondée en avril 1947 par le curé de la cathédrale de Dakar, le père Marcel Biard.

Voici d’abord le message d’adieu adressé par Monseigneur aux sénégalais :

C’est dans un climat d’action de grâces et de reconnaissance que je quitte Dakar. En effet, les circonstances qui motivent ce départ manifestent le désir de l’Église d’être vraiment catholique. Un Évêque Sénégalais de plus participera au Concile… n’est-ce pas un sujet de joie et d’espérance ? J’en rends grâce à Dieu.

Je profite de cette occasion qui m‘est donnée pour exprimer ma profonde reconnaissance à tous ceux que la Providence a placés pendant ces quinze années auprès de moi comme collaborateurs dans mon Apostolat : Prêtres réguliers ou séculiers, Frères enseignants, coadjuteurs, auxiliaires du clergé, Religieuses, Catéchistes, Responsables et membres des Associations d‘Action Catholique et des autres Groupements, instituteurs et institutrices… Que de dévouement, de zèle, de générosité… ! Dieu seul connaît et apprécie à sa juste valeur toute cette somme de charité chrétienne exercée au cours de ces années vécues ensemble dans le même champ d’apostolat.

Comment ne pas remercier les autorités politiques de ce cher Sénégal qui ont toujours manifesté une si exacte compréhension du rôle important de l’Église, et qui viennent de donner un nouvel exemple de la traditionnelle sagesse du peuple sénégalais en établissant des relations officielles avec le Saint-Siège.

Qu’il me soit permis d’évoquer les relations amicales, jamais démenties, au cours de ces quinze années, avec Messieurs les Pasteurs et les grands Sérignes de Dakar.

Que tous les industriels et commerçants du Sénégal qui m’ont très efficacement aidé dans la réalisation des Œuvres accomplies dans cette période soient vivement remerciés.

Ce n‘est pas sans une profonde émotion que j’exprime ces remerciements et ces adieux. J’assure tous ceux que j‘ai eu la joie de connaître et d’apprécier sur cette terre sénégalaise si attachante de ne jamais les oublier dans mes prières.

Message d’Adieu donné à l’émission catholique de Radio Sénégal : « La Vie et la Foi » du jeudi 8 février 1962. 

C’est le 12 février qu’eut lieu la cérémonie officielle d’adieu dans la cathédrale Dakar.

Il convenait que l’hommage – sinon le plus fervent du moins le plus éclatant – soit rendu à Son Excellence Mgr Lefebvre en sa Cathédrale de Dakar.

On peut dire que cet hommage fut digne et de Dakar et de Monseigneur. C‘est une foule immense qui emplissait – et même débordait – la cathédrale lorsque Monseigneur fit son entrée, précédé de la longue théorie des Grands Séminaristes de Sébikhotane, de la plupart des Prêtres du Diocèse, de Mgr Landreau, Préfet Apostolique de St-Louis et de Mgr Dodds, Évêque de Ziguinchor. Malgré l’émotion, toute cette foule chantait comme rarement il n’avait été donné de l’entendre.

« EXCELLENCE, VOUS AVEZ ETE UN GRAND SENEGALAIS »

Texte de l’allocution prononcée par Son Exc. Mgr DODDS, mardi 12 février en la Cathédrale de Dakar

Excellence, Monseigneur, mes biens chers Frères,

En 1955, lors de l’intronisation de l’Archevêque de Dakar, j’avais l’honneur et la joie en l’embrassant le premier de lui souhaiter un long et fécond apostolat au milieu de nous. Il me plaît ce soir de mesurer l’ampleur de ses réalisations, la fécondité de son dévouement. Et s’il est vrai, comme le disait un de nos Ministres sénégalais, que pour être Sénégalais il n’est pas nécessaire d’être né dans le pays, mais il suffit de l’aimer et de travailler pour lui, eh bien ce soir nous devons reconnaître, Excellence, que vous avez été un grand Sénégalais parce que vous avez beaucoup aimé le Sénégal.

Vous avez aimé le Sénégal par toutes vos réalisations qui sont immenses et pour pouvoir les mesurer il faut avoir connu le Sénégal de 1947 et le Sénégal de 1962. Dans tous les domaines, votre activité s’est exercée avec patience, avec ténacité mais aussi avec succès.

Dans le domaine du progrès et du développement social, vous avez inauguré votre Apostolat par la construction d’une Imprimerie, vous l’avez dotée de machines perfectionnées ; vous vous être attaché à amplifier la Presse Catholique : un Journal et des publications… Vous avez complété cette œuvre en mettant à l’Imprimerie un personnel dévoué et compétent.

Vous vous êtes attaché, malgré les difficultés, le pullulement, l’indépendance des Œuvres, à organiser l’Action Catholique à Dakar, ce qui était une tâche malaisée ; mais cependant Dakar vous doit le Centre Culturel, Dakar vous doit l’organisation d’une Centrale Nationale des Œuvres et Dakar vous doit aussi beaucoup dans le lancement et dans la création des Œuvres Catholiques.

Dans le domaine de la santé, il n’est pas une Mission qui n’ait son dispensaire et qui n’ait des Sœurs dévouées au service des malades.

Mais c’est surtout dans l’Enseignement que cette action devient surprenante. Les chiffres sont vertigineux: à votre arrivée en 1947, 9 écoles primaires, 2.000 élèves…, aujourd’hui nous avons 50 écoles primaires dans le Diocèse de Dakar, nous avons 300 classes, nous avons 12.000 élèves ; et pour le secondaire au lieu de 4 Établissements, ils sont 12 et les élèves ont passé au chiffre de 1.600.

Dans le domaine religieux, vous avez, Excellence, multiplié les Missions, les Centres d’apostolat, construit de nouvelles Églises ; vous avez su aussi vous entourer de la collaboration d’un clergé nombreux et choisi.

A Dakar, 3 Paroisses en 1947… Aujourd’hui : 9.

Dans le reste du Diocèse, une dizaine de stations en 1947… Aujourd’hui, plus de 25.

Vous avez su par ailleurs grouper ces centres, les hiérarchiser en 6 doyennés pour donner par cette union, plus de vigueur et d’efficacité à l’action apostolique.

Et durant vos quinze ans de Pontificat, vous avez suscité dans le Diocèse la collaboration de différentes Congrégations d’hommes et de femmes, spécialisées ou missionnaires.

La liste serait longue de tous ces Instituts que vous avez accueillis d’année en année. Lorsque vous avez pris le Vicariat Apostolique de Dakar, vous trouviez à vos côtés une cinquantaine de Pères du St- Esprit et une cinquantaine de Sœurs soit de St-Joseph de Cluny soit de l’immaculée Conception. Aujourd’hui, vous laissez à votre successeur plus de 100 Prêtres et 200 Sœurs enseignantes, hospitalières ou contemplatives.

Devant ces chiffres, qui peut contester de bonne foi la fécondité de cette activité pastorale… qui pourrait contester que le passage de votre Archevêque a été une bénédiction pour le pays…, qui peut contester que votre Archevêque a été un grand Sénégalais ?

Il a beaucoup aimé le Sénégal parce qu’aussi il a assuré l’avenir religieux du pays. Il a voulu former les futurs Maîtres de notre Enseignement par la création de cours normaux. Il a restauré la Congrégation des Filles du Saint-Cœur de Marie qui, grâce à son action, a trouvé un essor qu’elle n’avait jamais connu. Il s’est attaché à l’œuvre des vocations religieuses et a recréé pour ainsi dire l’œuvre des Frères de St-Joseph Auxiliaires du clergé.

Et son cœur paternel s’est surtout penché avec amour, avec affection, sur l’œuvre des Séminaires : Petits Séminaires de N’Gazobil, de Hann et ce Grand Séminaire de Sébikhotane qui a toujours été comme la pupille de son œil, la part la plus choisie de son affection.

Et si Monseigneur a voulu ainsi développer l’œuvre des vocations sacerdotales et des vocations religieuses, c’est parce qu’il voyait loin, il voyait l’avenir du Sénégal et il voyait surtout que le Catholicisme ne se développerait que grâce à un clergé solide, à un clergé sérieux.

Excellence, vous avez enfin beaucoup aimé le Sénégal par votre départ : IN FINEM DILEXIT. Si vous avez accepté de donner librement, spontanément, votre démission, n’est-ce pas parce que vous vous rendiez compte que le but de votre action missionnaire était précisément de fonder une Église africaine, de fonder une Église sénégalaise ? Et lorsque l’heure a sonné où vous avez trouvé dans votre clergé la maturité nécessaire, vous vous êtes effacé, pour laisser un de ceux que, pendant tant d’années vous avez amoureusement préparés à cette lourde charge, monter à son tour les marches du trône archiépiscopal.

Ce départ, dans le sacrifice il est vrai, mais aussi dans le désintéressement, n’est-il pas la preuve la plus grande, la plus belle de cet amour que l’on peut porter à un Pays ?

Pour toutes ces raisons, par la bouche d’un de ses fils, le Sénégal catholique tout entier vous exprime, Monseigneur, toute sa gratitude, toute sa reconnaissance. Au nom de vos suffragants, au nom de votre clergé — africain et européen, séculier et régulier, au nom de tous ces collaborateurs que vous avez su grouper autour de vous, Monseigneur, nous vous disons de tout notre cœur, profondément et intensément : MERCI.

Nos vœux, nos prières vous accompagnent dans le nouveau champ d’apostolat que la Providence, par la voix du Pape, assigne à votre dévouement. Mais soyez bien persuadé que ceux que vous laissez acceptent avec résignation ce départ qu’ils auraient souhaité plus tardif et jugent peut-être précipité, qu’ils regrettent de perdre en vous un Pasteur bien-aimé et surtout, Monseigneur, qu’ils ne vous oublieront jamais.

Après que Mgr Dodds eut dit, en termes très nobles, la reconnaissance du Sénégal à son Archevêque vénéré Son Exc., Mgr Lefebvre, très ému prit la parole

Cher Monseigneur,

Je vous remercie vivement des paroles que vous venez de prononcer et qui me confondent. Vous me permettrez, vous-même. Cher Monseigneur, Cher Monseigneur Landreau, mes bien Chers Confrères, mes Chers Diocésains, vous me permettrez de ne pas laisser ma parole sous l’influence des sentiments et de l’émotion car je crois que je n’arriverais pas jusqu’au bout des quelques minutes que je voudrais consacrer à vous parler.

Vous me permettrez de faire ce que j’ai toujours fait et aimé de faire parmi vous ; vous parler le langage de la foi. Je pense que ce seront mes dernières paroles comme Archevêque de Dakar — ou du moins comme Archevêque à Dakar — et ce que je veux vous dire c’est qu’il faut regarder ce départ non pas seulement avec notre coeur mais surtout avec notre foi. Pourquoi Notre Saint-Père le Pape, m’a-t-il demandé de quitter ce Diocèse auquel j’étais profondément attaché (et il le sait bien Notre Saint-Père le Pape) ; il m’a demandé de le quitter parce qu’il fait confiance à la chrétienté du Sénégal, et, comme vient de le dire S. Exc. Mgr Dodds, c’est parce que toute la lignée d’Évêques qui ont travaillé dans ce pays depuis bientôt 150 ans, avec tous leurs collaborateurs, ont accompli, avec la grâce du Bon Dieu, cette œuvre que nous avons sous les yeux. Et considérant que la chrétienté du Sénégal est profondément vivante, profondément chrétienne, animée d’une foi sincère et solide, Notre Saint-Père le Pape a pensé qu’il était temps qu’un enfant sorti des familles sénégalaises ait les responsabilités de premier Pasteur du Diocèse et du Sénégal.

C’est pourquoi ce soir je vous demande, mes bien chers Frères, de ne pas décevoir cette confiance de Notre Saint-Père le Pape par un certain découragement ou en vous laissant simplement aller à la peine de la séparation, mais au contraire de voir dans cette décision, l’amour que notre Saint-Père le Pape a pour vous et le désir qu’il a de vous voir aller toujours de l’avant et être une chrétienté modèle. Et si vous voulez me donner à moi-même un dernier témoignage de votre affection, ce sera précisément celui-là, de me laisser dans la conviction que vous continuerez à marcher sous la houlette de votre nouveau Pasteur, lui étant dévoués, étant pour fui vraiment des collaborateurs et des fils aimants comme vous l’avez été pour moi.

Je vous remercie d’ailleurs profondément de cette collaboration ; car si on énumère ce qui s’est réalisé depuis ces dernières années, je le répète et je tiens à le dire devant tous : vous en êtes tous les artisans. Car je dois le dire : le Bon Dieu m’a béni dans mes collaborateurs. Je n’ai toujours trouvé autour de moi que des collaborateurs dévoués et qui d’une manière ou d’une autre m’ont aidé à faire le bien dans ce cher Sénégal. Je les remercie profondément et vivement.

Et je vous laisse cette dernière consigne, ces derniers avis paternels que je confie aux feuilles que vous aurez tout à l’heure dans les mains : nous devons avant tout, pour rester profondément dans la voie que le Bon Dieu nous a tracée, avoir la foi et avoir confiance dans les moyens que Notre-Seigneur a mis à notre disposition ; et ces moyens c’est Notre- Seigneur lui-même. Nous devons nous attacher à Notre-Seigneur pendant toute notre vie et nous ne ferons rien de bon sans être attachés à Notre-Seigneur ; et nous serons particulièrement attachés à Lui par la prière. La prière c’est la manifestation de notre amour pour Notre- Seigneur. Prier c’est lui dire que nous comptons sur Lui, que nous vivons avec Lui, que nous travaillons avec Lui, que nous ne pouvons rien faire sans Lui. Il faut que toute notre vie soit centrée sur Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est cela qui est beau dans la vie du chrétien : cette union de cette pauvre âme, de cette pauvre créature, à Dieu qui est tout.

Que ce soient-là mes dernières paroles. Ensemble nous allons prier avec Notre-Seigneur. Lui qui a tant souffert a pourtant dit à ses Apôtres : « Je vous laisse ma joie, je vous confie ma joie ». Eh bien, dans notre tristesse, s’il en est vraiment, que ce soit toujours ce sentiment de joie qui domine afin que, comme les Apôtres le jour où Jésus les a quittés, nous restions vraiment dans la pensée et le cœur de Notre- Seigneur Jésus-Christ.

Je suis vraiment impressionné par cette allocution. Monseigneur est très ému mais, ainsi qu’il l’indique en introduction, il n’en appelle qu’à la foi : quatre fois ! Cela, si j’ose parler ainsi, c’est tout lui ! Pas de sentiment, mais un beau regard surnaturel sur Dieu et sa volonté. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours de même ! Toute sa vie passée et future est déjà exprimée dans ces dernières paroles aux fidèles du Sénégal :

Il faut que toute notre vie soit centrée sur Notre-Seigneur Jésus-Christ !


Lettre d’information N° 24 – xx septembre 2020 | Source : Perspective catholique