Jean-Pierre Saw – La Nouvelle Société helvétique, fondée par Gonzague de Reynold en 1914, accueillait jeudi 10 octobre l’ancien ambassadeur Georges Martin. Dans cette deuxième partie, nous rapportons ses propos concernant plus directement la Suisse.

La neutralité suisse a été remise en question depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Pourquoi ? Parce que, pour des raisons que l’Histoire révélera, certains Conseillers fédéraux ont choisi de s’aligner sur les USA et de rejeter la Charte des Nations unies pour la remplacer par le «rules based order» (1). En réalité, ces règles sont celles dictées par les Etats-Unis au cas par cas. Ces derniers décident de quand et où ses alliés peuvent faire la guerre. La notion schizophrène de «neutralité coopérative» n’a pas de sens, car la neutralité ne peut être qu’absolue, dans son principe en tout cas. Mais la Suisse veut faire figure de bon élève (le zèle du converti) et figure ainsi au deuxième rang des pays appliquant le plus de sanctions contre la Russie.

Ce parti pris consacre l’établissement d’un monde binaire, réparti entre l’Empire du Bien et le camp du Mal (absolu, lui), dans lequel il n’y a plus de place pour la neutralité. Neutralité 21 (2) signifie en fait l’alignement sur l’OTAN ; or nous n’avons rien à y gagner (pas de menace directe) et tout à perdre (notre rôle particulier). Et il en va de même du reste du monde qui a besoin de plates-forme de discussion d’autant plus urgemment que le Conseil de sécurité de l’ONU est paralysé à long terme.

Par sa nouvelle posture, la Suisse se renie à tous points de vue, puisqu’elle n’ose par exemple plus invoquer le droit humanitaire, et qu’elle justifie au contraire les actions israéliennes par l’auto-défense. La pente est glissante et les mots peinent à s’accorder avec les actions lorsqu’on parle de paix dans le déni et le mensonge. Depuis bientôt trois ans, la Suisse a voulu jouer dans la cour de grands, mais s’est en fait ridiculisée. Malgré nos politesses, l’Union européenne ne souhaite même pas entrer en matière sur la clause de sauvegarde (3) dans ses négociations avec la Suisse.

Pour la suite, il reste deux options

  1. L’alignement derrière Neutralité 21, sachant que les politiques, généraux et diplomates de notre pays, seraient ravis de participer à de grands raouts militaires mondiaux qui leur donneraient une certaine visibilité internationale, à l’image du Secrétaire d’État à la sécurité (SEPO), otanien convaincu ;
  2. L’adoption de l’Initiative sur la neutralité, qui remet l’église au milieu du village et définit notre neutralité comme «perpétuelle et armée» (4). Monsieur Martin a décidé de se consacrer à cette cause.
    Pourquoi la neutralité reste-t-elle si importante, alors que nos voisins ne se font plus la guerre ? Précisément parce que tout rapprochement de l’OTAN nous impliquerait dans des guerres qui ne nous concernent pas. Dans les circonstances actuelles, la tentative américaine de resserrer les rangs correspond à une volonté de conjurer leur déclin face à l’émergence des BRICS. L’ambassadeur souhaite une neutralité qui ne soit pas muette, mais continue de rappeler le droit international, le droit humanitaire et la paix : ce qu’il appelle une «neutralité de valeurs». L’ouvrage qu’il vient de publier se veut un «plaidoyer pour une Suisse neutre, active et respectée». (5)

(1)https://www.monde-diplomatique.fr/mav/195/BELLAMY_FOSTER/66914
(2) https://suisse-en-europe.ch/fr/neutralite-21/
(3) La clause de sauvegarde prévue dans l’Accord sur la libre circulation des personnes permeWt à la Suisse de réintroduire unilatéralement des contingents d’autorisations pour une durée limitée lorsque l’immigration en provenance d’un pays dépasser un certain seuil.
(4) https://neutralitaet-ja.ch/fr/
(5) Georges Martin, Une vie au service de mon pays, Slatkine, 2024

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Newsletter N° 242 – 6 septembre 2024 | Source : Perspective catholique