Jacques Dolonne – En 2018, un roman a fait beaucoup de bruit en Pologne sous le titre « Epoka Antychrysta ». Il est l’œuvre de l’écrivain polonais Pawel Lisicki qui est bien connu dans son pays, et qui l’a écrit en 2016 (1). Czeslaw Milosz, prix Nobel 1980 de littérature, a dit de Pawel Lisicki, à la parution de son premier livre « Le Dieu inhumain » (1995), qu’il était « le plus remarquable essayiste métaphysique polonais depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Mais venons au roman apocalyptique qui nous occupe (je caricature un brin car je ne peux pas rendre toute la subtilité de la narration dans ce bref résumé). C’est le roman d’un monde où la Révélation chrétienne n’a plus sa place, rejetant Dieu, son sacrifice eucharistique et relativisant la morale. Récit de la chute du clergé ne suivant plus les préceptes divins ni les principes de la loi naturelle, mais le prêt-à-penser médiatique woke et ses idoles, prêt-à-penser d’une société abêtie et esclave du Singe de Dieu.

Rome, 2217, une fumée blanche s’élève au-dessus de la chapelle Sixtine. Les cardinales et les cardinaux viennent d’élire un nouveau pape après sept papes François (de François 1er à François VI, puis François-François). Coup de tonnerre, il annonce prendre le nom de Judas 1er car le Seigneur ne veut le châtiment de personne «et qu’il n’y a aucune limite à la miséricorde divine» et «que ce ne sont pas ses actes qui décident de la dignité de l’homme». Son premier acte papal est donc d’inscrire dans le calendrier des saints Judas l’Iscariote. On entre dans l’âge du libéralisme radical.

Dans sa première allocution, Judas 1er dit : «Moi, Judas 1er, je jure de prendre à cœur les aspirations du peuple à une Eglise solidaire de toute l’humanité, le chrétien ayant vocation à être pleinement Homme, et de ne pas décevoir votre attente légitime d’être l’âme d’un nouvel ordre mondial juste et fraternel. La mise en œuvre d’une telle ambition suppose la lutte contre tous les fondamentalismes, la défense d’une écologie intégrale et une enquête serrée grâce au Parquet mondial sur l’historicité de la foi en la résurrection du Christ».

En raison de ses positions progressistes, Judas devient rapidement membre (peritus) du consistoire suprême du Gouvernement mondial. Le collège cardinalice est composé pour moitié de femmes et pour moitié d’hommes, ou à peu près car il y a parmi eux des trans et des queers… Les femmes sont aussi ordonnées prêtres et évêques depuis le concile Vatican III en 2144 (au cours de ce même concile toutes les orientations sexuelles ont été mises sur pied d’égalité). Suite à ce Concile Vatican III, le pape François V a publié l’encyclique Mariae mulieris dans laquelle il se prononce avec force en faveur de la nouvelle définition de la famille. Il y indique aussi que la relation entre Marie et Joseph doit être comprise dans un sens inclusif. Le célibat sacerdotal a déjà été supprimé par l’un des premiers papes François et son successeur a prohibé le port d’un habit ecclésiastique considéré comme le signe d’une inimitié envers le monde.

«L’indifférenciation» était alors le mot d’ordre. Trois cents églises historiques de Rome ont été démolies ou vendues. Seules cent servent encore au culte religieux. La grande majorité des églises d’Europe servent uniquement désormais à des fins sociales. Les crucifix ne sont plus affichés nulle part car le pape François-François qui a précédé Judas 1er a demandé aux catholiques de ne plus exposer si possible des crucifix, symboles de la souffrance, alors que le christianisme est la religion de la joie.

Quant au pape Judas, il a abandonné tout signe religieux dans son habit. Il s’habille en civil avec des baskets blanches écolos. Il enseigne d’ailleurs qu’il faut manger des insectes plutôt que de la viande. Il dit dans ses discours qu’il faut cesser d’hypostasier le Christ. Il transforme la Congrégation pour la doctrine de la foi en Congrégation de la lutte contre le fondamentalisme qui traque tout ce qui ressemble à des conservateurs de la vieille Eglise. Ladite congrégation est dirigée par une cardinale trans. Durant son discours d’installation elle s’exclame : « D’abord l’amour, et non pas la vérité ; d’abord le bien et non pas la logique ». Comme le pape Judas elle dit qu’il faut « désabsolutiser le monde » pour lutter contre le fondamentalisme.

On ne peut en ce temps-là être admis à une charge ecclésiastique sans passer un examen de dépistage d’une éventuelle tendance au radicalisme. C’est l’époque où les parents du monde entier doivent recevoir un certificat attestant qu’ils adhèrent aux nouvelles idées pour avoir le droit d’éduquer leurs enfants. Les parents du pape Judas ont perdu ce sésame car ils n’adhéraient pas aux cours de sexualité dans les écoles, cours au terme desquels on demandait aux enfants de ne choisir leur genre qu’à l’âge de 15 ans après avoir tout expérimenté. Le pape a donc été éduqué dans une autre famille et dans un institut étatique labellisé plus conforme aux idées régnant sur la planète entière. Un autre de ses premiers actes papaux est de supprimer la Fête-Dieu, typique de la piété moyenâgeuse.

On offre alors aux gens une mort voluptueuse euthanasiante dans des cliniques de la bonne mort et l’Eglise trouve cela bien. En 2217, l’Osservatore romano explique en Une que la tache principale de l’Eglise est la promotion du bon développement de l’humanité. Le pape Judas 1er explique qu’il faut différencier les dogmes généraux et la foi, qu’il ne faut pas confondre une vérité abstraite et la foi. Qu’on peut être catholique sans croire à chacun des dogmes. Il condamne dans l’Eglise les partisans de la continuité qui s’opposent à la radicalité évangélique et qui se réfèrent encore au passé plutôt qu’à l’Esprit. Judas les appelle les néo-pélagiens. Il affirme que « le christianisme n’est pas une religion de lettres mortes. » Et ajoute : «l’Esprit souffle où il veut et il se tourne surtout vers l’avenir» Le pape Judas change une énième fois les prières de l’Eglise jugées désuètes et il commande : «A partir de maintenant il est interdit de s’adresser à Dieu comme à un Père, car il est le symbole de ce qui donne la vie, le Père-Mère». Il décide en outre qu’à partir de 2218 la moitié des sièges épiscopaux seront réservés aux femmes et qu’un tiers des sièges seront réservés aux personnes multi-genres.

Et c’est l’époque où l’on ne croit plus en la transsubstantiation, même aux plus hauts niveaux de l’Eglise. Depuis le XXIIe siècle, on ne trouve d’ailleurs plus de tabernacles dans les églises. Le prédécesseur de Judas a ainsi aboli l’élévation de l’Hostie à la messe. Le pape Judas est adoré par les foules subjuguées par son charisme et son talent oratoire. Les proches du pape ont même réussi à faire croire qu’il avait fait des miracles sans le vouloir. Beaucoup l’appellent désormais « le pape thaumaturge ». A ceux – peu nombreux – qui le combattent, il répond qu’il bénéficie du soutien céleste par son ministère pétrinien. L’une de ses devises préférées est : « L’avenir est plus important que le passé ».

Et lorsque les opposants se font trop visibles, le numéro 2 du Vatican, le cardinal Lechicullo pond des communiqués contre les faux chrétiens qui s’opposent au changement pour leur reprocher de ne pas se laisser guider par les impulsions de l’Esprit, de voir l’Eglise comme «une pièce de musée», d’être trop «rigides», de faire preuve «d’étroitesse spirituelle» et d’être «insensibles aux signes du temps». Un certain nombre de passages du Nouveau Testament ont d’ailleurs été supprimés du canon du Nouveau testament car subversifs.

Les deux tiers du roman sont consacrés, sous la forme d’un récit policier haletant, aux manigances communes du pape Judas et du Parquet d’enquête du Gouvernement mondial pour prouver la non-historicité de la résurrection du Christ. Le pape a d’ailleurs préparé le terrain en insistant sur le fait qu’il faut avoir une compréhension spirituelle de la Résurrection. Seuls deux cardinaux, Elie et Henoch, dont l’un est Africain, résistent au pape et le dénoncent publiquement comme l’Antéchrist. Ils se réfugient dans l’un des derniers monastères européens, en Pologne, au lieu de culte de la Vierge de Czestochowa, mais ils sont arrêtés par les fonctionnaires de l’Option Tutrice sur mandat du peritus Judas avant d’avoir pu diffuser leur manifeste contre l’antéchrist Judas et ils sont enfermés dans l’un des nombreux camps de rééducation et de défanatisation où ils sont finalement assassinés de manière douce – méthode appelée intégration plénière – car ils ne démordent pas de leurs accusations. Des milliers de leurs partisans (essentiellement des groupes de protestants dispersés en Amérique ainsi que des moines orthodoxes cachés dans le Nord de la Russie) sont arrêtés et également rééduqués dans d’immenses camps construits à la hâte. Judas exulte à l’annonce du résultat de l’enquête du Parquet global concluant à la non historicité de la résurrection du Christ. Le pape lâche même devant ses proches, dont la cardinale préfète Bordello qui préside la Congrégation contre le fondamentalisme : «Finie la dictature des livres morts, on va enfin pouvoir instaurer un christianisme positif et je laisserai la place à l’action de l’Esprit!»

Il publie peu après sous le sceau papal une encyclique intitulée «Non resurrexit» (il n’est pas ressuscité). Peu après avoir annoncé à la face du monde lors de la Pâques 2220, à l’occasion de la bénédiction urbi et orbi, que le Christ n’est pas ressuscité. Le pape Judas réunit ensuite les dirigeants de toutes les religions à Assise pour supprimer à la face du monde la fonction papale, libérer tous les prêtres de leurs obligations, et remplacer lesdites religions par une « charte éthique de l’humanité » avant la constitution d’un Parlement religieux de l’humanité. Judas propose un nouveau calendrier qui commencerait non plus à la naissance du Christ mais le 29 juillet 1968, jour où l’homme a posé le pied sur la lune. Seuls des juifs convertis au christianisme venus à Assise pour protester s’opposent à son dessein.

Ceux qui ont bien lu la Bible peuvent deviner la fin du roman…

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(1) Ce roman a été publié dans sa traduction française en 2021 sous le titre «L’âge de l’Antéchrist» (notre photo) aux éditions Via Romana (distribution par Salvator et ISBN 978-2-37271-185-2)

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Newsletter N° 106 – 2 décembre 2022 | Source : Perspective catholique