Eric Bertinat – Drôle de débat que celui d’une 13e rente AVS. Comme toutes les initiatives, ce n’est pas la récolte des 100’000 signatures nécessaires au dépôt du texte qui est le plus dure, c’est bel et bien la votation. Rares, en effet, sont les initiatives qui passent l’examen populaire. Et il reste encore la volonté politique du législateur qui peut poser problème, comme ce fut le cas avec les deux initiatives UDC contre l’immigration de masse.

Drôle de débat parce que de part et d’autre – la droite bourgeoise face à la gauche et les syndicats – les arguments sont plus électoralistes que politiques. Je m’explique.

A gauche, il y a un joli coup à jouer, celui de plaire à un électorat âgé plus enclin à voter UDC. C’est totalement réussi ! Mais le discours à ses limites lorsqu’il faut trouver les sommes nécessaires à cette rente supplémentaire. Seule proposition : l’augmentation des cotisations salariales qui, il est vrai, n’ont presque pas bougé depuis 1970. Une solution tabou à droite car les patrons devraient mettre la main au porte-monnaie.

C’est sur ce point que se retrouve joyeusement la droite copain-copain (PLR, Le Centre, Verts libéraux et UDC) pour déglinguer la gauche. Comme au bon temps de la guerre froide. Alors qu’une bonne partie des rentiers vivent chichement leur retraite, l’octroi d’une 13e rente est inacceptable pour cette droite inflexible : on court contre le mur, on se jette dans le vide, on va rejoindre le Madagascar dans le classement de la pauvreté mondiale.

PLR et Le Centre, en s’opposant à un rattrapage du premier pilier par une 13e rente privilégient leur électorat habituel, la classe moyenne supérieure et les personnes riches. Pourquoi le lui reprocher ? C’est bel et bien les intérêts d’une classe bourgeoise aisée qui s’opposent à ceux d’une classe moyenne « populaire », les working poor, hors du champ des aides sociales, qui n’ont pas pu capitaliser un troisième pilier et qui peinent à boucler les fins de mois.

Il faut le dire : une bonne partie de nos retraités sont financièrement à l’aise. Contrairement à la gauche, voilà qui ne nous dérange aucunement, bien au contraire ! Mais face à cette population l’on trouve près de 300’000 retraités qui sont considérés comme pauvres ou menacés de pauvreté et pour qui la situation devient de plus en plus précaire. Et l’on peut élargir le cercle des retraités en difficulté jusqu’à ceux qui ont réussi à épargner un deuxième pilier mais qui lui aussi diminue et affaibli fortement leur pouvoir d’achat.

C’est ici que l’UDC a raté le coche.
Que l’initiative passe ou soit refusée, il restera une fracture au sein de ce parti. Mme Martullo-Blocher et Thomas Aeschi, tous deux conseillers nationaux UDC n’ont pas été capables de sortir du discours libéral et ont durement traité cette classe moyenne qu’ils prétendent défendre (la défence du pouvoir d’achat). L’arrivée catastrophique d’anciens conseillers fédéraux dans cette campagne illustre mon propos. Et plus particulièrement l’intervention d’Adolf Ogi. Sa prestation a été très mal accueillie en Suisse allemande et il a durement ressenti les nombreuses critiques qui lui ont été adressées : « Il est inadmissible que l’on diffame ainsi les anciens conseillers fédéraux. Eux aussi sont des êtres humains avec des droits et des devoirs, déclare-t-il dans un journal argovien, concluant que, décidément, il ne comprend plus la démocratie directe« . Visiblement, c’est son ancien électorat UDC qu’il ne comprend plus.

Les arguments libéro-comptatibles avancés par les barons de l’UDC, principalement ceux d’un manque de financement et même d’une catastrophe annoncée, sont parfaitement discutables. Ce genre de prévision dépend de paramètres démographiques notoirement peu fiables lorsqu’ils dépendent eux-mêmes d’une immigration nette et active. Où en seront, dans les années 2030, l’économie suisse et surtout l’emploi, pourvoyeur de contributions AVS à répartir? Nul ne le sait. Entre 1990 et 2020, la population cotisante est passée de 4 à 5 millions d’unités : on se souvient à quel point personne n’avait prévu cela. C’est en premier lieu ce constat qui a démenti jusqu’ici le pessimisme ambiant sur le poids croissant des boomers et le sombre avenir de l’assurance vieillesse.

L’AVS s’autorégule depuis ses débuts. La capacité d’absorption et la stabilité du 1er pilier se sont révélées impressionnantes: contrairement à ce qu’on entend souvent, une grande partie des baby-boomers (personnes nées entre 1946 et 1970) sont aujourd’hui déjà entrés dans le système de retraite, sans que l’AVS n’amorce le déclin annoncé, et alors qu’aucune révision majeure de l’AVS n’a été acceptée dans les urnes depuis vingt ans.

Le gouvernement ne tient pas non plus compte du fait que le nombre de nouveaux retraités ira en diminuant à partir de 2030, alors que le nombre de cotisants va croître. L’AVS peut s’attendre à une baisse des dépenses et une hausse des recettes dans les années 2030. Mais cela, le livret de votation ne le mentionne même pas !

On attendait l’UDC plus proche du peuple, l’un de ses slogans, capable de trouver des solutions et surtout de profiter de cette votation pour adresser un signal fort au Parlement : il est temps de s’occuper de notre population, des rentiers AVS mais aussi des artisans, des paysans, de l’entier de la classe moyenne, des contribuables, etc. Toutes ces populations qui ont fait son électorat…

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Newsletter N° 189 – 14 février 2024 | Source : Perspective catholique