Christian Bless – Henri Pourrat a marqué de son nom quelques ouvrages qui demeurent dans la mémoire des lecteurs et sur les rayons des librairies. Celles-ci proposent encore, mais pas bien souvent, le grand roman qu’est Gaspard des montagnes ainsi que l’inépuisable Le Trésor des contes qui rassemble plus de mille contes recueillis dès les premières années du siècle passé, et pendant des décennies, à l’occasion de ses longues marches dans les montagnes du Livradois, auprès des bergers et des vieux paysans porteurs de la mémoire orale. Cette œuvre majeure devrait figurer dans toutes les bibliothèques familiales ainsi qu’au programme des écoles où il remplacerait avantageusement les fadaises proposées trop souvent aux écoliers.

Tissés de sagesse terrienne, que notre vie citadine médite toujours avec profit, ces contes sont pétris de christianisme, d’une foi vécue, incarnée, qui élève les réalités les plus humbles. Ils ouvrent sur l’universel et la grande amitié entre les hommes : « Plus on s’occupe des contes, plus on prend le sentiment qu’ils sont tous de partout. Dans chaque coin on devrait les trouver tous », écrit leur auteur.

Pensant à La Bienheureuse Passion, son biographe, Pierre Pupier, attire notre attention sur cette méditation parue en 1946 : « Il faut le voir : comme Péguy et comme Claudel, Pourrat est un grand écrivain de la chrétienté. »

Méditant donc les quatorze stations du Chemin de Croix, selon le récit des Évangiles et s’inspirant des visions de sainte Catherine Emmerich, Henri Pourrat nous fait partager « … en même temps qu’une évocation – une compassion – des scènes de la montée au calvaire qui l’orientent, le livre laisse-t-il mûrir sa pensée et ses images autour de la morale et du dogme, de la sagesse née de la Révélation, de la foi en la Rédemption. » (Pupier)

Cette méditation, Henri Pourrat la conduit de la manière qui lui est bien propre, en contemplant les réalités naturelles les plus discrètes et lisant à travers elles leur essence surnaturelle : « Il y a un esprit qui hausse la vie, continuant la sève et le sang. La Révélation ne contredit pas la nature : l’accomplissant, elle l’élève à sa vraie raison d’être, lui ouvre l’éternelle vie. » Et de préciser : « Les choses naturelles gardent sur elles le reflet de l’aurore paradisiaque. » Nul manichéisme, pas la moindre contradiction : les réalités naturelles et surnaturelles sont tout une et jaillissent du sein du « Verbe par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait », comme l’enseigne le disciple que Jésus aimait dans le prologue de son évangile. Unité profonde des choses. Nous sommes là bien loin des dialectiques et des déchirements modernes.

En ouverture du livre, Henri Pourrat place cette méditation dans un contexte liturgique en inscrivant en épigraphe un texte du Canon de la messe qui justifie le titre de l’ouvrage : « Unde et memores, Domine, … beatae passionis … Seigneur, nous vos serviteurs, et puis votre peuple saint, de ce même Christ, votre Fils, Notre Seigneur, nous rappelant la bienheureuse Passion … ». Il s’agit donc d’une méditation sur la montée au calvaire, sur les souffrances et le sacrifice rédempteur du Christ et donc, « le rôle de la souffrance acceptée et offerte dans l’économie du salut » (Pupier). Contemplation inscrite au cœur de la foi catholique : « Qu’au centre de tout, il y ait un Être en trois personnes qui s’entr’aiment, c’est le secret de l’univers. Si Dieu n’était cet Être, il n’y aurait pas de conscience, pas de liberté, pas de choix, pas de mal, pas de douleur. Dieu serait le monde. La douleur et le mal prouvent que Dieu existe et qu’il est un être vivant. Le fait que le Père, le Fils et l’Esprit sont des personnes, voilà le nœud de tous les mystères. »

A quelques jours du Mercredi des cendres et de l’ouverture du Carême, les pages de La Bienheureuse Passion nous invitent à cette ascension vers Pâques. La profonde méditation de l’Auvergnat nous engage sur « le chemin qui monte, pour le faire, portant leurs peines, unis à leurs frères humains eux aussi chargés et peinant, le chemin où ils se font frères du Christ, où ils se transforment en Christ : le chemin de la croix … (…) Ce mouvement de montée, c’est celui qui soulève toute la Création vers la lumière. Sans ce mouvement-là, le monde n’a point de sens. » Et, pour conclure, le poète d’Ambert, offre cette contemplation de « la bienheureuse Passion, parce qu’elle est le seul passage menant au royaume où la vie de Dieu éclate en son grand jour. »

Le regard pur et profond de Pourrat nous rend attentifs à ces images qui nous entourent en nous révélant les réalités les plus hautes. Il faut lire et relire ces pages au fil desquelles la méditation du Sacrifice divin nous appelle à l’amitié et à la Lumière. Il y a de la sainteté chez ce contemplatif. Per visibilia ad invisibilia.

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Newsletter N° 188 – 12 février 2024 | Source : Perspective catholique