- Alexandra Klucznik-Schaller – En Romandie, on ne présente plus Guy Mettan, on met éventuellement à jour sa biographie, sommairement on dira de lui qu’il est député au Grand Conseil de Genève et qu’il continue à écrire.
- «La Veille Sauvage, dix-huit mois avec les Gardes-Faune du Valais», vient de paraître chez Slatkine, et on a envie de citer l’auteur tant sa plume est affutée : «Redécouvrir cette liberté élémentaire, primordiale, ancestrale, d’aller et venir à sa guise, le vent, le soleil et la pluie dans les cheveux, en dehors des chemins balisés de la servitude numérique et de la rationalité marchande fut aussi une occasion de conjurer l’angoisse de l’effondrement de la biodiversité et de l’extinction de masse qui frappe les insectes, les oiseaux et l’ensemble de la microfaune et de la microflore.»
- Qui aime les bêtes, aime les hommes, dit un vieil adage ; Guy Mettan est de cette trempe et le public ne s’y trompe pas ; son livre «Russie-Occident : une guerre de mille ans, la russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne», réédité pour la énième fois en décembre dernier aux Editions Delga, est traduit en de nombreuses langues, dont le chinois, et est en passe de devenir un classique. Enfin, ceux qui préfèrent des condensés, pourront se référer à ses articles que l’on trouve en ligne sur des sites tels qu’arretsurinfo.ch, bonpourlatete.com, agefi.com, etc.
- Nous sommes donc allés à la rencontre de Guy Mettan, l’humaniste, et nous lui avons demandé son avis à propos d’une question essentielle sous nos latitudes : la neutralité suisse.
- Autrement dit, est-ce que la Suisse deviendra partiale et militarisée comme la Suède et la Finlande, ou est-ce qu’elle restera à l’écart des pressions telluriques ?
Sans dévoiler l’entier de l’analyse, on dira juste que Guy Mettan a confiance dans les acquis civilisationnels de l’Helvétie, dans le bon sens populaire et qu’il n’hésite pas à employer un langage franc de collier… —
Un entretien avec Guy Mettan

Alexandra Klucznik-Schaller : La Suisse bénéficie depuis 1815, depuis le congrès de Vienne, du statut de neutralité perpétuelle, or, dès le 28 février 2022, elle a repris le paquet de sanctions de l’Union Européenne contre la Russie. Est-ce que dans ces conditions, elle peut toujours être considérée comme un médiateur impartial pour offrir ses offices dans le règlement des conflits ?
Guy Mettan : La neutralité est une très vieille histoire. De fait, on peut dire qu’elle a cinq siècles d’existence et qu’il est très important qu’elle soit vécue de l’intérieur. La première manifestation politique a eu lieu en 1648. La Suisse ne s’était pas battue pendant la guerre de Trente Ans pour ne pas créer de divisions entre catholiques et protestants. La Suisse s’était abstenue si bien qu’au Traité de Westphalie, les puissances européennes ont pris acte de cette neutralité. En 1815, après les guerres napoléoniennes, cette neutralité est devenue perpétuelle et a été reconnue par l’ensemble des nations européennes, et même par la France qui avait été vaincue. La Russie, avec son ministre des Affaires étrangères, le comte Capo d’Istria, avait été l’architecte principal de cette reconnaissance de la neutralité suisse et l’Angleterre, qui avait vaincu la France sur mer, fut d’accord avec la Russie. Depuis cette époque, la Suisse a joui de cette neutralité en essayant d’en tirer tout le parti possible. Cela nous a évité deux guerres mondiales. Alors que l’Europe était en feu, nous avons été protégés par ce statut de neutralité, et cela alors que les pressions étrangères étaient beaucoup plus brutales qu’aujourd’hui. Par la suite, pendant la Guerre froide, nous avons su développer une politique de bons offices assise sur la neutralité. Cette politique a permis à la Suisse de se distinguer et d’exister sur le plan international, en apportant une valeur ajoutée aux puissances en conflit.
Et bien malgré tout cet acquis, tout d’un coup, fin février 2022, au moment où le conflit ukrainien entrait dans une nouvelle phase – parce que le conflit en Ukraine n’a pas démarré en 2022, mais dès 2014 quand le gouvernement issu du putsch de Maïdan a pris le pouvoir, interdit la langue russe et commencé à brimer les russophones de l’Est de l’Ukraine – en 2022 donc, quand il y a eu l’intervention militaire russe, tout d’un coup, le gouvernement suisse a pratiquement annihilé 200 ans de neutralité. En 48 heures, la Suisse s’est alignée sur les sanctions. Et elle l’a fait uniquement sous la pression économique des États-Unis et des Européens qui ont menacé notre pays de représailles économiques si elle n’adoptait pas leurs sanctions contre la Russie. Cela a été un point de bascule absolument inouï, qui a effectivement scandalisé de nombreux Suisses.
AKS : Si je comprends bien, les pressions externes ont fait vaciller le gouvernement. Mais la Suisse a sa démocratie. Vous faites partie du comité initiateur de l’initiative « Sauvegarder la neutralité suisse1 » ; vous aimeriez marquer la neutralité dans la Constitution ? L’initiative a recueilli le nombre de voix nécessaires pour qu’une votation ait lieu. Peut-être fin 2025, ou en 2026. Le Conseil fédéral s’est déjà prononcé contre cette initiative, mais ne propose pas de contreprojet. Qu’est ce qui se passe ?
GM : Comme le gouvernement a sabordé la neutralité suisse en 2022, il reste logique avec lui-même. Il ne peut pas admettre cette initiative parce qu’il ne veut pas reconnaître sa faute, et je dirai même, ce crime. Maintenant, il faut espérer que, grâce à cette initiative populaire, le peuple suisse va pouvoir reprendre en main son destin. Personnellement, j’ai bon espoir que les Suisses, qui sont très attachés à leur neutralité, prendront conscience qu’il est absolument nécessaire de la sauvegarder, et de la rétablir dans l’état où elle était avant 2022. Même si les médias et l’establishment politique sont opposés à cette initiative, le peuple suisse, je l’espère, votera en sa faveur.
Il faut rappeler que la neutralité est inscrite dans la Constitution fédérale, mais en termes généraux. C’est un principe qui est mentionné, mais il n’y a pas de définition précise. Il n’y a pas non plus de champ d’application précis, et c’est ce qui permet au Conseil fédéral de prétendre qu’il respecte la neutralité tout en s’alignant sur les États-Unis et l’Europe contre la Russie. Le but de cette initiative est de repréciser les choses et d’empêcher cette interprétation complètement floue qui permet aux autorités de faire n’importe quoi lorsqu’elles sont soumises à des pressions étrangères.
La Suisse, normalement, ne devrait suivre que des sanctions acceptées par les Nations Unies, ce qui n’est pas le cas des sanctions antirusses. Ce sont des sanctions unilatérales prises par les États-Unis et l’Union européenne. Donc, ce ne sont pas des sanctions reconnues en droit international. C’est la raison pour laquelle on ne devrait pas les suivre.
AKS : Le 20 décembre 2024, le Conseil fédéral a approuvé un nouvel accord-cadre avec l’Union européenne, dit « l’accord institutionnel II ». Le paquet concerne des domaines sensibles comme la libre circulation des personnes, le transport, la santé, l’électricité, la sécurité alimentaire. Ursula von der Leyen a qualifié l’accord d’historique. Pourquoi approuver un tel accord la veille des fêtes et pourquoi autant de polémiques entourent cet accord ?
GM : Ce qui a été signé, est un premier stade de l’accord. Cet accord n’est pas encore entré en force parce qu’il doit encore être ratifié par le peuple suisse. Le débat va avoir lieu. Ce qui est tout à fait étonnant, c’est que le Conseil fédéral a avalisé cet accord préliminaire sans l’avoir lu. D’après ce qui a été rapporté, ses membres ont reçu des fiches synthétiques mais sans les détails. De fait, le gouvernement a avalisé un accord sans le connaître. Il manquait notamment un élément absolument essentiel qui est celui du tribunal d’arbitrage. Comment va-t-on arbitrer les conflits entre la Suisse et l’Union Européenne quand il y en aura ? Tout le problème est lié à l’impartialité des juges. L’Union Européenne ne veut pas accepter un tribunal totalement indépendant, avec des juges européens et des juges suisses qui seraient à égalité. Au fond, toute l’astuce consiste à avoir une cour d’arbitrage qui dépend de l’Union Européenne. C’est pour cela que ces accords ne sont pas acceptables : ils ne seront pas contrôlés par une instance équitable et vraiment impartiale.
Du moment que vous acceptez une cour d’arbitrage biaisée, cela veut dire que tout l’accord sera biaisé parce que, au fur et à mesure des conflits, des litiges, les cas vont remonter à la cour d’arbitrage qui élaborera une jurisprudence systématiquement favorable à l’Union européenne et défavorable à la Suisse. En effet, les juges européens ne sont pas indépendants. Ils ont un biais systématiquement centralisateur. Ils veulent toujours plus de politique économique favorable aux grandes corporations, plus de libéralisme, plus d’intégration. Et ce en l’absence de tout contrôle démocratique, les peuples européens n’étant jamais consultés sur les affaires qui les concernent. Comme démocrate, j’accepte la défaite. Mais en l’occurrence, quand les juges ne sont pas choisis démocratiquement mais se cooptent dans un entre-soi qui ne rend jamais de compte aux peuples, on ne saurait accepter leur tutelle.
La discussion va durer plusieurs années. Rien n’est gagné, ni d’un côté ni de l’autre. Mais on peut d’ores et déjà prévoir qu’une énorme propagande et des sommes d’argent inouïes vont être mises à disposition des partisans des accords afin d’influencer le peuple suisse en la faveur. Soyons sur nos gardes.
AKS : Question sur une autre instance supranationale ; au mois de juillet dernier, l’OTAN a ouvert un bureau de liaison à Genève. La Suisse n’est pas membre de l’OTAN, mais elle coopère avec l’Alliance dans le cadre d’un partenariat pour la paix ; les forces suisses sont amenées à participer à des opérations de soutien de la paix placée sous la direction de l’OTAN, de l’Union Européenne ou de l’ONU. Est-ce que cette collaboration va s’intensifier? Est-ce que vous identifiez des risques ?
GM : La Suisse est en train de faire avec l’OTAN ce qu’elle a fait avec les sanctions antirusses. C’est exactement le même schéma. Pourquoi ? D’un point de vue formel, la neutralité suisse interdit d’adhérer à l’OTAN. Ça, c’est clair et toute le monde est d’accord là-dessus. Mais qu’est ce qui se passe en réalité ? On justifie ce rapprochement en tordant les textes et en trahissant l’histoire de notre pays. On prétend que la neutralité empêche une adhésion à l’OTAN, mais qu’elle n’empêcherait pas un partenariat avec elle. On signe donc un partenariat avec l’OTAN. Ce qui, dans les faits, équivaut à s’aligner sur l’OTAN sans le dire. On va se retrouver dans une situation dans laquelle l’OTAN sera en Suisse, sans que la Suisse n’en soit formellement membre. Tel est le plan. Et c’est un peu d’ailleurs ce qui est arrivé à l’Ukraine : l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, mais l’OTAN est en Ukraine parce que depuis des années, tous les membres de l’OTAN ont financé, entraîné et livré des armes à l’Ukraine. On joue sur les mots. Pour moi, le fait d’ouvrir un bureau de l’OTAN à Genève montre que le ver est dans le fruit. Cela montre que la neutralité suisse, même du point de vue militaire, est gravement compromise. C’est une trahison inacceptable, surtout quand on sait que l’OTAN n’est plus une organisation de défense, mais une organisation d’agression. Regardez ce qu’elle a fait en Yougoslavie en 1999. Elle a bombardé illégalement un pays européen pendant 78 jours. Elle est intervenue en Afghanistan et ailleurs. Elle cherche à s’étendre en Asie. Ce n’est plus une organisation de défense, mais une organisation d’expansion et d’agression militaire.
AKS : Comment est-ce que vous expliquez qu’au mois de juillet 2024, le fonds AVS qui gère les assurances sociales retraite, et représente 40 milliards de francs, ait été placé sous la responsabilité de State Street, une banque américaine, sans qu’aucun débat public n’ait eu lieu ?
GM : Voilà encore une autre manifestation de la soumission de la Suisse, de son abandon de sa souveraineté économique. Ce que je trouve personnellement complètement absurde, c’est que la Suisse se flatte de posséder une place financière exceptionnelle et de gérer des centaines de milliards de fonds étrangers mais que, quand il s’agit de l’argent de nos retraités, elle les confie à une banque américaine. C’est juste un déni de nos propres capacités. Cela veut dire qu’on n’est plus capable de gérer nous-même notre argent. Quel message donne-t-on à l’extérieur ? On veut attirer l’argent des autres pour le gérer chez nous, mais quand il s’agit de notre argent, on le délègue aux Etats-Unis. Ce signal est suicidaire. Il montre le degré de soumission, d’inconscience, de sujétion totale à ce monde euro-atlantiste. On ne voit plus de problème à renier notre fierté, notre patriotisme, notre attachement à ce pays, nos talents de gestionnaires de fonds.
Au fond, c’est toute l’élite dirigeante européenne qui en est là. Regardez le gouvernement allemand : il se fait détruire son pipeline NordStream par des mercenaires sous égide américaine et il ne bronche même pas. Quand on en est arrivé à ce degré d’autodestruction, il y a vraiment du souci à se faire.
AKS : Peut-être que Trump, avec son « America First », va inspirer d’autres souverainistes ?
GM : Je reste un peu dubitatif à l’égard de Trump, parce que je n’oublie pas que c’est un Américain et que les Américains, qu’ils soient Démocrates ou Républicains, ont encore la nostalgie de l’époque où ils dominaient le monde. Et Trump, à mon avis, n’a pas encore perdu toute ambition de revenir à cet état de fait. Il veut renforcer les Etats-Unis pour leur restituer leur primauté. Je reste donc prudent. Cela dit, il y a aussi des signes très positifs parce qu’il a déjà obtenu un cessez-le-feu en Palestine et qu’il a assuré vouloir mettre fin à la guerre en Ukraine.
Pendant son premier mandat, il fut le seul président américain depuis 1945 à n’avoir pas déclenché de nouvelles guerres, bien qu’il ait tout de même armé l’Ukraine en lui livrant des armes offensives. Mais on peut espérer que sa présidence soit moins nocive que celle de Biden et d’Obama. Les Républicains sont moins russophobes que les Démocrates. Les Démocrates haïssent la Russie d’abord et la Chine ensuite, tandis que les Républicains sont d’abord antichinois avant d’être antirusses. Je caricature un peu, mais je crois que je ne suis pas trop loin de la vérité. En résumé, laissons Trump commencer son mandat et restons sur nos gardes. —
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Newsletter N° 249 – 29 janvier 2025 | Source : Perspective catholique