Abbé Alain René Arbez – C’est ce que prétendent constamment certains courants évangéliques littéralistes, qui sans même s’en rendre compte, interprètent des passages du Nouveau testament à partir de leur a-priori idéologique. Il convient donc d’examiner les textes de référence pour vérifier comment s’articule cette accusation fréquente du catho-bashing habituel.

L’idée d’assimiler l’Eglise catholique à Babylone s’appuie sur le chapitre 17 de l’Apocalypse, où l’on voit la femme assise sur 7 collines, et où les 7 têtes sont 7 collines sur lesquelles la femme est installée. Certes, on est habitué à parler de Rome comme de « la ville aux 7 collines ». Mais l’argument est un peu court. S’agit-il ici de Rome, la ville païenne, ou de l’Eglise catholique elle-même ?

N’allons pas trop vite en besogne, car le mot grec utilisé dans le nouveau testament pour dire « colline » est « horos », qu’on retrouve 65 fois dans l’ensemble des textes néo-testamentaires. Or dans la version King James de la Bible c’est seulement 3 occurrences qui sont rendues par « colline ». Les 62 autres sont traduites par « montagne ».

Si la « prostituée » de l’apocalypse se tient sur 7 montagnes, rappelons-nous que le terme montagne est un symbole biblique connu qui désigne les royaumes (ps 68, Dan 2.35, Amos 4,1, etc). Ainsi, les montagnes de la prostituée sont en fait les royaumes où elle règne, on sait aussi que le chiffre 7 exprime la plénitude. Ce qui suggèrerait que la prostituée règne sur tous les royaumes de la terre. C’est donc clairement une critique spirituelle des pouvoirs temporels souvent inhumains et cruels.

Et même si l’on gardait le mot « colline », rien ne prouve qu’il s’agisse spécialement de Rome, bien qu’il soit évident que la Rome païenne correspondait à l’oppression, aux injustices et à la débauche ici dénoncées. C’était effectivement l’ambiance dominante, à l’époque des persécutions, quand Pierre et Paul évangélisent et se trouvent à Rome.

Lorsque c’est le Vatican qui est ciblé, il est utile de rappeler que celui-ci a été construit sur une seule colline et pas sur 7… Les 7 collines sur lesquelles Rome est construite se situent à l’est du Tibre, tandis que le Vatican est construit à l’ouest. Pas de correspondance, par conséquent.

Dans Apoc. 17,10, il est écrit que les 7 têtes correspondent à 7 rois. On ne peut y voir le Vatican qui n’existe pas encore à l’époque. Par ailleurs, il y a beaucoup de villes dans le monde qui sont situées sur 7 collines : Paris, Nîmes, Besançon, St Etienne, Washington, New York, Cincinatti, Lynchburg, Lisbonne, Bamberg, Bath, Yaoundé, Antananarivo, Pretoria, Alger, istambul, et beaucoup d’autres !

On peut aussi penser que l’allusion aux 7 collines ou montagnes évoque Jérusalem. Le théologien protestant Martin note que dans le Pirke du rabbi Eliezer (8ème s.) il est précisé : « Jérusalem bâtie sur 7 montagnes ». Un mont correspond à la réalité dénoncée : une de ces montagnes est en effet dénommé « le mont de la corruption » ou « de la perdition ».

Il est également utile de vérifier si la prostituée de l’apocalypse désigne vraiment Babylone, mentionnée 5 fois dans le livre visionnaire. Depuis le temps de l’exil, n’oublions pas que Babylone symbolise l’idolâtrie, la tyrannie et la luxure. La tradition hébraïque donne souvent des noms symboliques pour désigner les dévoiements de certaines villes. Ainsi, Sodome pour stigmatiser la débauche, Egypte pour caractériser un pays idolâtre, et Canaan pour avertir une population frappée de malédiction.

Ce qui fait que Babylone peut désigner Rome, c’est ce que l’on peut lire dans la première lettre de Pierre. Babylone, Rome la grande cité…Mais ces termes accusateurs se retrouvent aussi pour évoquer Jérusalem !  « La grande cité appelée Sodome et Egypte, là même où leur Seigneur a été crucifié… » (Apoc 11,7)

Dans Isaïe 1,10 et Ezekiel 16,1, comment sont caractérisés les ennemis de l’alliance ? « Sodome, Egypte et Babylone ». Les pères de l’Eglise se sont souvent référés à cette symbolique pour la mise en cause de Jérusalem infidèle à Dieu, mais ils ont aussi visé la Rome païenne qui persécute férocement les chrétiens.

Dans Apocalypse 17,1, il est question du « jugement de la grande prostituée avec laquelle les rois de la terre se sont souillés » alors que les « habitants de la terre se sont enivrés du vin de son impudicité »… Dans la bible, la prostitution désigne l’infidélité envers Dieu. C’est le sens d’une rupture d’alliance que l’on retrouve majoritairement. Dans Isaïe 1,21, les deux royaumes d’Israël et de Juda sont mis en cause : « Comment est-elle devenue une prostituée la cité fidèle, pleine d’équité, où habitent maintenant des meurtriers… » « qu’a fait Jerusalem l’infidèle, elle est allée sur toute montagne et s’y est prostituée…et Juda la perfide, est allée se prostituer aussi, elle a commis l’adultère avec le bois et la pierre… »

Il s’agit ici clairement des dévoiements idolâtriques qui ont perverti la vie des croyants et les ont détournés du Dieu vivant. L’adultère est souvent la manière de dire que le peuple a trompé Dieu en transgressant le lien d’amour qui le reliait à lui.

Il ressort de ces passages bibliques que l’apostasie est vigoureusement dénoncée, et que c’est essentiellement Jérusalem qui est ciblée.

En conclusion, ce parcours d’analyse des termes bibliques révèle que l’accusation de l’Eglise catholique en tant que « prostituée » ou « babylone » ne correspond en rien à la contextualisation loyale des passages cités en référence. Il s’agit en réalité d’un transfert fantasmatique inapproprié.

Toute communauté chrétienne, quelle qu’elle soit, peut sous tel ou tel aspect se trouver ciblée par la critique de trahison de l’alliance familière aux écrits prophétiques et au style du livre de l’Apocalypse. L’Eglise est sainte, mais ses membres sont pécheurs.


Lettre d’information N° 26 – XX octobre 2020 | Source : Perspective catholique