Christian BlessL’an passé, le 5 octobre, à Fribourg, la FSSPX a fêté l’ouverture de son séminaire, le 13 octobre 1969, grâce à l’autorisation accordée par Mgr François Charrière quelques mois plus tôt. Le quotidien Présent s’était fait l’écho de cette cérémonie dans son édition du vendredi 11 octobre 2019. Quelques séminaristes embarquent alors sur ce frêle esquif, qui estimaient ne pas pouvoir poursuivre leur formation dans les séminaires existants, en raison des dérives doctrinales et disciplinaires en cours. Ils viennent se placer  sous la protection de Mgr Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar, Délégué apostolique pour l’Afrique française et ancien supérieur général des Pères du Saint-Esprit. Comme le grain de sénevé, cette humble semence est appelée à des développements que peu ont imaginé à l’époque. Le 24 septembre 2020, la FSSPX réunissait à nouveau prêtres, séminaristes et fidèles à Écône en Valais, pour fêter les 50 ans de sa fondation, le 1er novembre 1970. A cette occasion, la dépouille de son fondateur a été solennellement transférée du caveau du séminaire à la crypte de l’église du Cœur immaculé de Marie.

« Le grain de sénevé … De toutes les semences sur la terre, c’est la plus minuscule, elle pousse, elle pousse, … elle devient  plus grande que tous les autres légumes. Elle pousse de si abondantes ramifications que les oiseaux du ciel viennent s’abriter sous son ombre. » Effectivement, en 2020, la FSSPX annonce compter 675 prêtres, 138 frères profès et 76 sœurs oblates auxquels s’ajoutent les Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X et les Sœurs Missionnaires de Jésus et Marie. Mais ce tableau ne serait pas complet si l’on omettait d’inclure nombre de sociétés religieuses étroitement liées à la FSSPX telles, entre autres, les Dominicaines enseignantes de Fanjeaux et de Brignoles. Nombreux sont donc les oiseaux du ciel qui viennent s’abriter sous son ombre.

La fécondité de l’œuvre de Mgr Marcel Lefebvre s’étend sans doute au-delà de ces familles religieuses, à toutes celles qui, peu ou prou, vivent et défendent un même Credo, une même liturgie, les mêmes sacrements, une même Tradition millénaire, chacune animée de son charisme propre, dans les circonstances qui leur sont propres, au-delà des divergences et des querelles regrettables. La FSSPX aura été le brise-glace, le navire amiral de cette modeste armada qui a eut à naviguer des eaux tumultueuses. Elle demeure le rempart qui aura permis à d’autres œuvres de voir le jour, se développer et nourrir les âmes, à l’abri des entreprises malveillantes d’une hiérarchie occupée à faire table rase du passé catholique, dans tous les domaines.

Au travers des décennies, les effets de la crise religieuse qui a ravagé la vigne catholique sont devenus plus évidents et ce qui était présenté, par le passé, comme un renouveau apparaît clairement aujourd’hui comme un désastre spirituel, intellectuel et moral sans précédent. Mgr. Athanasius Schneider parle de « la quatrième grand crise » que traverse l’Eglise, qu’il place sur le même plan que  « la crise arienne » et « la révolution protestante ». Dans son dernier ouvrage, Christus vincit (Editions Contretemps), l’évêque coadjuteur d’Astana,  n’hésite pas à qualifier de « confusion gigantesque » la crise qui désintègre l’Église visible en estimant que « La crise actuelle est la plus profonde et la plus dangereuse, car elle s’exprime au moyen d’un déni de la validité constante de quelque vérité que ce soit : dogmatique, morale et liturgique. »  Ces jugements qui confirment ceux énoncés en son temps par Mgr Lefebvre reçoivent le soutien des cardinaux Burke et Sarah et croisent les déclarations de Mgr Vigano. Plus personne ne songe aujourd’hui à nier cette catastrophe et la contestation des nouveautés mortifères n’est plus seulement le fait de l’ancien Archevêque de Dakar, bien seul et abandonné de ses confrères dans l’épiscopat à l’époque, ou de ses fils spirituels aujourd’hui, mais également celui de personnalités occupant des postes officiels au sein de la hiérarchie catholique qui, de diverses manières, compte tenu de leurs positions ou de leurs personnalités propres, reprennent plus ou moins complètement les contestations du fondateur de la FSSPX.

Leur nombre s’accroît au fil des ans, chacun à sa place sur le rempart édifié en son temps par Mgr Marcel Lefebvre, Mgr de Castro Mayer, le Père Calmel O.P., Louis Salleron, Marcel De Corte et bien d’autres auxquels nous ne pouvons rendre hommage ici mais parmi lesquels l’on se voudrait de ne pas citer la grande œuvre de Jean Madiran qui fut l’analyste sans concession de cette période affreuse de décomposition du catholicisme, selon le titre d’un ouvrage du Père Bouyer, et qui offrira régulièrement l’hospitalité bienveillante et argumentée des pages de la revue Itinéraires à l’évêque rebelle qui se voyait censurer de tous côtés, même parmi les siens puisque la réédition de Pour qu’Il règne de Jean Ousset s’est vu privée de la préface de l’ancien Archevêque de Dakar qui fut pourtant bien seul à soutenir son auteur et son œuvre, La cité catholique. Ne jamais compter sur la reconnaissance, la fidélité de ceux à qui l’on fait du bien.

Cette décomposition affecte le clergé, l’Église visible, sa dimension humaine mais non pas l’être même de l’Église qui est, essentiellement, une, sainte, catholique et apostolique, sans tache, qui est le Corps mystique de Jésus-Christ ; cette Église qui est Jésus-Christ répandu et communiqué, selon le mot de Bossuet. Cette crise frappe donc la partie émergée de l’Église et non pas son essence divine.

C’est donc un hommage ému et reconnaissant, recueilli et priant, qu’ont rendu ces oiseaux de l’Évangile, ce 24 septembre, à celui dont Mgr Schneider n’hésite pas à comparer la protestation « à celle de certains des grands Pères de l’Église ». Prêtres, laïcs et séminaristes, dont nombre d’entre eux, de par leur âge, n’ont jamais connu le fondateur qu’ils honoraient, mais dont les parents ou les grands-parents ont fait confiance, sensus fidei, à  « la clairvoyance et (au) caractère prophétique » de sa prédication et de son œuvre de foi, même dans les moments douloureux de l’année climatérique de 1988. Alors, quelques-uns ne comprirent pas la nécessité surnaturelle de l’acte grave que posa l’Archevêque et dont ils bénéficient tout de même aujourd’hui, à l’abri du rempart. L’Église une, sainte, catholique et apostolique rendra, un jour, le jugement qu’elle porte sur cette désobéissance mais est-il téméraire d’estimer que c’était là un geste prophétique qui retentira dans l’histoire de l’Église (Dom Gérard Calvet dixit), posé par un évêque qui avait reçu la grâce d’apprécier mieux que d’autres la gravité des circonstances ? D’ailleurs, peut-être que ce jugement a, de fait, été posé d’ores et déjà par la levée de toutes les sanctions qui frappaient l’Archevêque et son œuvre ?

La cérémonie ouverte par une messe pontificale célébrée par Mgr Bernard Fellay dont l’homélie souligna que « le seul souci du fondateur fut de transmettre ce qu’il avait reçu » et que le prélat ne manquait jamais de répéter que « l’esprit de la FSSPX était avant tout celui de l’Église et qu’elle était entée sur ce tronc inébranlablement ». La somptueuse liturgie fut suivie de la translation solennelle de la dépouille mortelle du fondateur, dont le cercueil, accompagné d’une longue théorie d’ecclésiastiques qui ne semblait pas devoir finir, fut porté jusque dans le crypte de l’église du séminaire pour reposer dans une tombe nouvellement créée afin de permettre aux fidèles d’honorer plus aisément celui à qui nombre d’entre eux doit d’avoir conservé ou recouvré la foi. La journée s’est terminée sur le chant des premières vêpres de Saint-Nicolas de Flue, ermite du XVème siècle et patron de la Confédération Helvétique qui accueilli, voici cinq décennies, le pieux évêque.


Lettre d’information N° 24 – XX septembre 2020 | Source : Perspective catholique