Abbé Michel Simoulin – Notre abbé est prêt : bien établi entre ces deux fournaises pleines de feu, le Sacré-Cœur du Christ-Roi et le Cœur Immaculé de Marie, il peut faire sa profession religieuse le 8 septembre 1932. Il n’est plus « monsieur l’abbé » mais le « Père Marcel Lefebvre ». Ils sont 39 jeunes novices à recevoir le cordon spiritain. Hormis lorsqu’il devra revêtir les attributs épiscopaux, Monseigneur ne le quittera plus. Il le reprendra même à Écône et le conservera jusque dans la tombe.

Le même jour il fait la consécration à l’apostolat. Ils sont 3 profès à la faire. C’est le Ven. Libermann lui-même qui avait conçu et prescrit cette consécration à faire par ses missionnaires avant leur départ, dans la Règle de 1849. En 1932, la formule était devenue la suivante :

« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

JÉSUS, divin Rédempteur des hommes, me voici à vos pieds, pour me donner définitivement à vous : recevez-moi !

Aux jours de mon enfance et de ma jeunesse, vous m’avez appelé, ô JESUS ;  j’ai distingué votre regard, j’ai entendu votre voix : me voici. Me voici avec le souvenir de mes fautes passées, avec la conscience de mon indignité présente, avec la crainte de mes futures défaillances, mais aussi avec la sincère volonté de bien faire, et l’espoir intime que vous ne m’abandonnerez jamais.

Après m’avoir inondé de vos grâces, appelé à la perfection de la vie chrétienne et chargé des honneurs du sacerdoce, vous me répétez aujourd’hui la parole de votre testament ; et me montrant les chemins couverts de sueur et de sang que vos apôtres ont suivis depuis vingt siècles, vous me dites : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. Allez, prêchez l’Évangile à toute créature ; instruisez les peuples et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint- Esprit. »

Avec vous, Seigneur JÉSUS, j’irai en toute contrée où, par la voix de mes Supérieurs en qui j’entends vous suivre, vous m’enverrez. Avec vous je travaillerai. Avec vous je mourrai.

Adieu donc, ô mon pays, où je laisse tant de souvenirs. Amis d’enfance, parents aimés… adieu !… Pour l’amour de Dieu qui m’a créé, racheté et sanctifié, en présence de Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST qui m’entend et qui me jugera, de mon Ange Gardien, de mes Saints Patrons, de mes Pères et de mes Frères ici rassemblés et que je retrouverai au dernier jour comme témoins de ma parole, je me consacre solennellement à l’Apostolat dans la Congrégation du Saint-Esprit et de l’immaculé Cœur de Marie, et je me fais pour toujours le serviteur des âmes abandonnées.

Esprit-Saint, à qui j’ai l’inestimable honneur d’être spécialement consacré, source de toute sainteté, de tout zèle, de toute grandeur, faites que jamais, dans le cours de ma vie, votre sainte grâce ne s’éteigne en mon âme ; donnez- moi de n’être nuisible à personne, mais au contraire de devenir un instrument de salut pour beaucoup de mes frères ; éclairez-moi de vos lumières, soutenez- moi de votre force…

Et vous, douce Vierge Marie, qui m’avez toujours été si bonne, restez ma Mère. C’est à vous que j’irai dans mes tristesses, mes langueurs, mes déceptions, mes insuccès, mes tentations, mes épreuves, dans toutes les heures difficiles de mon existence. Marie, ne permettez pas que je sois un jour infidèle à ma vocation ; gardez mon cœur pour qu’il ne soit jamais indigne du vôtre, et, quand Dieu l’aura marqué, daignez, ô Mère, venir chercher cette âme que vous avez aimée et que je remets entre vos mains. Ainsi soit-il. » (Mgr Le Roy. Mémoire spiritaine n° 16. 2002.)

De ce jour, il n’aura qu’une pensée « transmettre ce qu’il a reçu » la dévotion au Christ-Roi et au Cœur Immaculé de Marie.

Je passerai rapidement sur ces années de missionnaire et d’évêque spiritain, car tel n’est pas mon propos. Je n’avais comme intention que de relever les influences reçues depuis son enfance jusqu’à son âge mûr, afin de rendre grâces à ceux qui ont formé son âme et son cœur dans la fidélité à tout ce qu’il avait reçu. Je ne ferai donc que résumer les premières années de son « Tradidi quod et accepi ».

Après le Gabon, de 1932 à 1945, la direction du scolasticat de Mortain en 1945, puis son retour en Afrique comme vicaire apostolique de Dakar le 12 juin 1947, le voici nommé Évêque d’Anthédon et sacré Vicaire Apostolique de Dakar le 18 septembre 1947. Nous connaissons sa devise épiscopale « Credidimus Caritati ».

Nommé Archevêque d’Arcadiopoli di Europa et premier Délégué Apostolique d’Afrique Française le 22 septembre 1948, il devient Archevêque de Dakar le 14 septembre 1955. Il abandonne la charge de Délégué Apostolique d’Afrique Française le 22 juillet 1959,

Puis celle d’Archevêque de Dakar le 20 mai 1962, pour laisser la place à Mgr Hyacinthe Thiandoum qu’il avait ordonné prêtre le 18 avril 1949.

Si nous lisons les « lettres pastorales » adressées à son clergé nous aurons une idée de ce que fut son ministère épiscopal en Afrique, et nous comprendrons le bel hommage d’adieu qui lui fut rendu par Mgr Dodds le 12 février 1962 en la cathédrale de Dakar : « Excellence vous avez été un grand sénégalais ».

Nommé évêque de Tulle le 23 janvier1962, il rentre en France, et sera élu le 26 juillet 1962 Supérieur de la Congrégation du Saint- Esprit et du Saint-Cœur de Marie pour une durée de 12 années. Pendant ces années marquées par le Concile Vatican II, Il assiste impuissant à la dégradation de l’idéal religieux de ses missionnaires et, avant la tenue du chapitre général de 1968, il annonce sa démission après le chapitre, le 27 mais 1968. Le 30 septembre 1968, il fait son ultime intervention dans laquelle il rappelle ce que voulait le fondateur de la congrégation et cite longuement le P. Libermann. Un des capitulants témoigne de l’accueil que reçoit son intervention : « il est sorti… on a repris la discussion ». Sa démission prend effet en octobre 1968… Ses confrères le laissent partir dans une indifférence quasi totale, sans adieux…

Le voici libre pour répondre à d’autres appels !

Le voici libre pour réaliser ce qu’il a appelé lui-même le « rêve de Dakar » … « le rêve qu’il m’a fait entrevoir un jour dans la cathédrale de Dakar : devant la dégradation progressive de l’idéal sacerdotal, transmettre, dans toute sa pureté doctrinale, dans toute sa charité missionnaire, le sacerdoce catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ, tel qu’il l’a transmis à ses apôtres et tel que l’Église romaine l’a transmis jusqu’au milieu du XXème siècle. ». Il semble que cela se réfère à ce que Dieu fit entrevoir à Monseigneur en Juillet-août 1959. Il avait alors prescrit à ses prêtres de prêcher cinq dimanches de suite sur le Saint Curé d’Ars pour préparer la célébration de sa fête. Alors qu’il assistait à la messe d’un de ses prêtres, Dieu lui donna une lumière et le désir de transmettre le sacerdoce et l’esprit sacerdotal. Cette intuition ne le quittera pas, et nous la retrouvons même exprimée devant les pères spiritains durant le chapitre de 1962.

Un « historien » rapporte la chose en ces termes : Parmi ses idées, on trouve l’amorce du projet qui trouvera son aboutissement, dans d’autres circonstances, à Fribourg puis à Écône : « Ne pourrait-on pas envisager de grouper des Scolasticats auprès d’Universités, vg. comme au Canada ? Ou de grouper ensemble plusieurs Scolasticats en internationalisant Élèves et Professeurs spiritains et en offrant, le cas échéant, nos cours à des Élèves venant des diocèses? »

Mais avant de le suivre sur ce chemin, j’aimerais revenir sur les conditions de son départ de Dakar… dans notre prochain article.

ANNEXE

La consécration avant le départ prescrite par le P. Libermann en 1849.

« Avant leur départ pour les Missions, ils feront à N.-S. Jésus-Christ la consécration de leur futur ministère, et dans cette consécration, ils prendront la résolution solennelle de faire ce qui dépendra d’eux pour que la Congrégation reste fidèle au but qu’elle se propose, le salut des âmes les plus pauvres et les plus abandonnées. Cette consécration se fera d’après la formule suivante :

Consécration de notre apostolat à Notre Seigneur Jésus Christ.

Le moment est enfin arrivé, ô Jésus, mon Maître et mon souverain Seigneur, où je dois obéir à votre voix puissante qui m’appelle ; où je dois abandonner tout et vous suivre. Je viens répondre à votre appel avec bonheur, et je vous suis avec allégresse et amour. Me voici, ô mon Dieu ! Je me livre entre vos mains corps et âme ; je me donne à vous sans réserve et sans mesure, pour être employé, immolé toute ma vie par la divine volonté de votre Père, à votre gloire et pour le salut des âmes. Je me consacre particulièrement à celles qui sont les plus délaissées et les plus méprisées parmi les hommes.

Je prends ici, en votre sainte présence, et de toute la ferveur de mon âme, la ferme et inébranlable résolution de me dévouer toute ma vie au salut de ces pauvres âmes, et d’en faire l’objet de toutes mes occupations, conformément à la volonté de mes Supérieurs et aux règles établies dans notre Congrégation.

Je veux, pour l’amour de votre saint Nom et pour le salut de ces mêmes âmes, faire tous les sacrifices et supporter avec amour toutes les privations et toutes les afflictions que la divine volonté de votre Père m’imposera.

Je désire ardemment, et je prends la ferme résolution de ne plus chercher désormais ma joie et ma consolation que dans les travaux que j’entreprendrai et dans les peines que je souffrirai pour ces pauvres âmes si chères à votre cœur et à celui de votre sainte Mère.
Désormais, ô mon Dieu, je vous appartiens tout entier: servez-vous de moi comme d’un instrument qui doit être uniquement employé pour votre gloire au salut des pécheurs et des infidèles; usez, consumez toutes les forces de mon être dans ce grand œuvre de votre divin amour.

Bénissez, mon bon et adorable Maître, bénissez les saintes résolutions que vous m’inspirez en ce moment; bénissez ma sortie de cette sainte maison, bénissez les frères bien-aimés que j’y laisse, bénissez mon voyage et mon arrivée au lieu où votre divine volonté me conduit, bénissez mes travaux, encouragez mon âme, fortifiez ma faiblesse, soyez sans cesse avec moi, remplissez-moi de l’abondance de vos grâces et de vos vertus apostoliques, afin que je puisse répondre, selon toute l’étendue de votre miséricorde, aux saints désirs que vous daignez m’inspirer; dites à Marie, votre sainte Mère et la mienne, qu’elle joigne sa bénédiction aux vôtres, afin que ma vie étant sous sa miséricordieuse protection, je sois fidèle à toutes les résolutions que je viens de prendre, et qu’ainsi votre saint Nom soit béni, loué et glorifié dans l’Assemblée des Anges et des Saints. Ainsi soit-il !


Lettre d’information N° 24 – 8 octobre 2020 | Source : Perspective catholique