Eric Bertinat – Il y a cinquante ans disparaissait Georges Pompidou. Personnalité attachante, figure d’une France heureuse par opposition à la France malheureuse d’aujourd’hui, il fut bien plus que le successeur du général De Gaulle. Côté politique, (presque) tout a été dit. Côté famille, on connaît son attachement pour les siens. Mais que sait-on de Georges Pompidou, côté religion ?

Né en 1911 dans le massif central, du côté septentrional du Cantal, dans une «région indifférente à la tradition chrétienne» (dixit le chanoine Boulard dans sa carte de la France rurale), ses parents célèbrent la démocratie, l’identifiant volontiers «au progrès scientifique et au progrès moral, et font de la l’école laïque le support premier de l’émancipation» (1). Bien que leurs orignes soient protestantes, l’ancienne minorité huguenote locale, ils sont catholiques. Georges est baptisé, apprend son catéchisme et fait sa première communion. Puis viennent ses années d’études, son entrée en 1931 à l’École normal supérieur. Dans un magnifique ouvrage intitulé «Lettres, notes et portraits /1928-1974» (Ed. Robert Laffont) regroupant entre autre la correspondance entre Georges Pompidou et son grand ami Robert Pujol, son «Cher vieux», on le découvre peu intéressé par la religion. Nous retiendrons de ces années, son opinion sur le laïcisme. Si l’école publique doit être neutre, remarque-t-il en 1930, l’irréligion de l’État ne doit pas prendre la place de la religion d’État.

Sa rencontre avec Charles de Gaulle et son catholicisme social, André Malraux et ses questions métaphysiques et le père dominicain Marie-Alain Couturier, alimentent sa réflexion. Les mutations sociales, rapides, nerveuses, que la France connaît l’interpellent et nombre d’écrits en témoignent. Contrairement au jeune Giscard-d’Estaing et sa «société libérale avancée», «Georges Pompidou est dans une autre disposition d’esprit : avec Charles de Gaulle, il pointe quant à lui, dès les années 1950, les impasses d’une modernisation qui ne trouverait pas appui sur un substrat transcendant» (2).

Cette évolution se concrétise par un retour, dans les années 1950, à la pratique dominicale, aidée aussi par sa femme, fille d’un médecin catholique scolarisée chez les Ursulines de Château-Gontier. «Dans les églises qu’il fréquente, il prie et se signe ; on ne le voit pas communier» (3). Georges Pompidou soutient généreusement les œuvres du clergé local. Sa foi, discrète, s’observe ici et là. En novembre 1950, il adresse une carte de vœux au général, sollicitant pour lui la protection de la Providence. On se rappelle cette confidence du père Bruckberger, avec lequel le président Pompidou entretint une relation amicale depuis les années 1960 et qui affirme dans ses mémoires l’avoir vu, la maladie étant là, «glisser au fond de l’abîme de la prière».

Georges Pompidou se réjouit du Concile Vatican II. Mais rapidement, il estime que les prêtres ne doivent pas céder à la tentation de la sécularisation et de la politisation. «La foi de son point de vue, est vouée à exhausser le social-historique, non point à s’y dissoudre» (4). Au lendemain de «mai 68», on sent qu’il comprend encore davantage le rôle et la place de l’Église dans la société française. Il écrit : «Le problème le plus profond est spirituel et religieux. L’option fondamentale est de savoir si l’on considère que la vie terrestre est une fin en soi ou un passage et du point de vue moral si l’homme sera jugé ou non. La crise des Églises et de l’Église catholique et les solutions qui lui seront apportées revêtent une importance capitale» (5). Il est d’une extrême prudence sur les questions sociétales. La loi Neuwirth sur la contraception de 1967 fait l’objet d’une application très lente. Quant à l’avortement que revendique tout un mouvement féministe, il ne donne lieu qu’à un projet très restrictif, qui d’ailleurs n’aboutira pas. Sous sa présidence, Georges Pompidou s’attache à consolider les institutions religieuses. Les mesures adoptées sont nombreuses. Ses relations avec l’Église catholique sont favorisées par des liens étroits entre son gouvernement et les dignitaires catholiques.

Pourtant, au lendemain du Concile Vatican II, les critiques d’une partie de l’épiscopat envers le gouvernement Pompidou se font violentes. On pense à certains évêques du Nord de la France lors de la grève des mineurs. Les relations sont moins amicales après 1968. A la suite de la Constitution conciliaire Gaudium et Spes (1965) et surtout de la Lettre apostolique Octogesima advienes (1971), les évêques français basculent dans la tentation du pluralisme politique et donc de l’engagement à gauche. Certains évêques rejoignent la Fédération protestante de France pour dénoncer le commerce des armes (6), les essais nucléaires, l’extension du camp du Larzac. Malgré tout, Georges Pompidou continue sa politique conciliante envers l’Église catholique, il favorise la reconnaissance légale des congrégations en 1970 ou encore consolide la législation sur l’école privée en 1971.

Alors, Georges Pompidou avait-il la foi ? Dans les dernières pages de son essai politique «Le nœud gordien», nous trouvons une critique de la société et du clergé qui laisse penser que oui, la foi lui est venue au fil de ses réflexions : (…) Je suis profondément convaincu que, pour un pays comme la France, nous sommes au contraire à la fin d’une période de «libération». Depuis vingt ans, toutes les contraintes traditionnelles – religieuse, familiale, sociale, sexuelle – se sont, non pas atténuées mais effondrées. Beaucoup d’hommes d’Église ne croient plus ou donnent à peine l’impression de croire encore à la Grâce, aux Mystères, à la Vie éternelle même, ne veulent trouver la foi que dans la connaissance claire et par la réflexion individuelle, substituant à la religion une sorte de morale sociale évangélique, en elle-même très respectable, mais qui est tout sauf une foi, et où la revendication remplace l’espérance.

Tout au long de son existence, Georges Pompidou a observé une grande pudeur sur sa foi mais n’en a pas été moins zélé à protéger l’Église catholique dans un pays marqué par le laïcisme qui fut dans son histoire parfois virulent. Georges Pompidou est dans l’esprit du temps, dans le bouillonnement des «trente glorieuses». Sa mort marque la fin de cette période dont il pensait que l’amélioration du niveau de vie n’est pas tout et l’Occident ne gagnera la partie que s’il donne à la vie en société d’abondance une valeur, un sens moral. Son corps repose dans le cimetière d’Orvilliers, où il gît désormais, aux côtés de son épouse, sous une pierre tombale sur laquelle est gravée une croix.

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(1), (2), (3), (4) Religion, Philippe Portier, Le dictionnaire Pompidou

(5) Dans une lettre adressée à Mgr Ménager, évêque de Meaux, le 8 mai 1973, Georges Pompidou répond en 5 points à la note rédigée par les évêques de France sur le commerce des armes. Dans le cinquième point, il dit : Bref, il y a des cas où un idéalisme théorique assure purement et simplement le triomphe de la force brutale. Est-ce cela que l’on veut ? Est-ce aux pauvres qu’il faut prêcher l’humilité et aux faibles la non-violence ? En vérité, la France n’est pas la bête de l’Apocalypse. «Lettres, notes et portraits /1928-1974» (Ed. Robert Laffont)

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Newsletter N° 203 – 18 avril 2024 | Source : Perspective catholique