M. l’abbé Simoulin – Voici quelques notes historiques de Monseigneur Lefebvre lui-même au sujet de la fondation d’Ecône. « Ces quelques lignes compléteront les informations qui préfacent le diaire du Séminaire Saint-Pie X de Fribourg. Au cours des années 1967-1968 les demandes de parents, de prêtres ou des aspirants au sacerdoce eux-mêmes se faisaient de plus en plus nombreuses.

Les possibilités de solutions romaines s’amenuisant, je recherchais d’autres voies pour la bonne formation de ces futurs prêtres, et leur accès possible aux ordres. L’idée me vint de consulter l’ordre des Chevaliers de Notre-Dame sur le projet de prêtres-chevaliers qui dépendraient de Son Excellence Monseigneur Michon, Protecteur de l’ordre.
Je faisais part de cette proposition au colonel de Penfentenyo, Grand-Maître de l’ordre. La réponse fut lente à élaborer et elle revint pratiquement négative. Cependant, très aimablement, le Grand-Maître me suggérait de prendre contact avec les Chevaliers du Valais qui avaient un immeuble qui pourrait être utilisé comme séminaire.
Ayant déjà pensé à Fribourg où j’avais envoyé plusieurs séminaristes, connaissant bien les deux évêques de Suisse romande Monseigneur Charrière et Monseigneur Adam, je décidais de me rendre en Valais pour prendre des renseignements.

Par l’intermédiaire de M. le curé de Fully, Henri Bonvin, vieil ami du Séminaire français, je rencontrais Maître Lovey en mars 1969. Maître Lovey, originaire de Fully, notaire à Sion, convoqua à Écône Monsieur Gratien Rausis et Monsieur Marcel Pedroni. Et je fis ainsi pour la première fois la connaissance de cette maison où résidait encore un chanoine du Grand-Saint-Bernard. Éloignée de tout centre important, je la jugeais vraiment impropre à un séminaire, mais très adaptée à un genre de noviciat. D’ailleurs, Son Excellence Monseigneur Adam, consulté, n’était pas favorable à la fondation d’un séminaire. Il souhaitait une maison exempte de sa juridiction.
Je demandais à ces messieurs de me laisser le temps de réfléchir et si possible de me donner une option pour une année. Ils acceptèrent volontiers jusqu’en octobre 1970. Réellement, je ne croyais pas pouvoir l’utiliser. Durant une année, il n’en fut plus question.

C’est à Pâques 1970 que rencontrant à Lausanne Maître Lovey, je lui faisais part de ce que je considérais alors comme un rêve : ce désir de donner aux débutants une année de spiritualité. Ce désir me parut au cours du 3ème trimestre de l’année scolaire 69-70, une absolue nécessité. Je décidai de chercher des collaborateurs. Devant la difficulté d’en trouver, je rencontrai Dom Roy, abbé de Notre-Dame de Fontgombault afin d’étudier la possibilité de réaliser cette année dans l’ambiance de l’abbaye. Généreusement Dom Roy accepta le principe, tout en faisant ressortir les obstacles pouvant venir des autorités diocésaines.

Sur ces entrefaites, je recevais des souhaits de collaboration pour cette année de la part des abbés Masson et Gottlieb. Lentement mais sûrement, la Providence menait toutes choses. Fin avril, l’abbé Masson venait à la rue Lhomond à Paris me présenter un de ses dirigés, Bruno Dufour ; l’exposé de mes projets enthousiasma M. l’abbé Masson qui décidait de tout mettre en œuvre pour venir lui aussi ! Cependant, les semaines passaient sans réponses définitives. Seule celle de l’abbé Claude Michel était acquise lors d’un court séjour à Rome.

Généreusement il se mettait à ma disposition. On arrivait à la fin de juin quand les réponses affirmatives des deux abbés Masson (fin mai) et Gottlieb me parvinrent. D’autre part la solution de Fontgombault devenait impossible, malgré la grande bienveillance de Dom Roy. La Providence éclairait la voie à suivre. Sans hésiter, je retournais voir Maître Roger Lovey et Monsieur Marcel Pedroni. Reçus, Paul Aulagnier et moi, à bras ouverts par ces messieurs auxquels s’adjoignaient M. le curé de Riddes et M. Alphonse Pedroni, la décision était prise : ouverture en octobre, d’où les travaux à exécuter au plus vite : chauffage, aménagement des salles sous la chapelle, eau chaude et froide dans les chambres, électricité, etc. Je promettais une aide substantielle qui servirait de loyer.

Toutefois durant le mois de juillet des enfants handicapés occupaient la maison. Il était impossible de travailler dans la maison d’habitation, mais M. Marcel Pedroni commença les travaux pour le chauffage de la chapelle. Vint le mois d’août. Je résidais à la rue de Botzet à Fribourg, chez les Spiritains, tandis que le 50 de la Vignettaz était en plein chantier !… aussi. Mais c’est le mois de vacances et tout se ralentit de nouveau. M. Pedroni me demandait alors de l’aide pour septembre. J’écrivis à l’abbé Claude et à deux futurs !… tandis que je partais à Rome. L’abbé Bernard Waltz puis l’abbé Claude arrivèrent sur les lieux. L’abbé Bernard fit l’admiration de tous par ses talents et son ardeur à la tâche. Le troisième était retenu en France.

Mais un dernier problème demeurait insoluble : les cuisinières, lingères, sacristines ! Où les trouver aujourd’hui et pour un lieu assez isolé ? Les propriétaires, tous retraitants de Chabeuil, m’orientèrent vers les Sœurs de Chabeuil. Ils écrivirent et je pris la décision d’aller les voir. Malgré l’offre généreuse d’une villa mise à leur disposition par les frères Pedroni, ce fut peine perdue. Mes soucis à ce sujet tant pour Fribourg que pour Écône devenaient particulièrement angoissants. C’est alors que, songeant au bon Père Berto et à ses religieuses, je leur écrivis un S.O.S. avant de partir à Rome. Or, le 3 septembre je recevais à Rome par téléphone une réponse affirmative. C’était le jour de la Saint-Pie X. Délicatesse de la Providence, du saint Pape, et de la Révérende Mère de Pontcallec !
Que restait-il à attendre du Ciel ? Sinon que les choisis de Dieu, pour venir profiter de ces lieux aménagés, ou peu s’en faut, arrivent les cœurs bien disposés. Mais ils le furent et de manière magistrale par le cher Père Rivière C.P.C.R. qui leur prêcha une retraite selon saint Ignace riche d’enseignements fondamentaux et de grâces de conversion.

Ainsi débuta, sous la protection maternelle de Notre-Dame des Champs cette année de spiritualité, avec dix aspirants et bientôt onze, sous la conduite zélée des abbés Masson, Gottlieb et Claude Michel, et les soins bienveillants des trois religieuses dominicaines du Saint-Esprit. »

Coup d’œil sur l’année 70-71 et regard sur l’avenir !
« Disons en vérité que tout cela est à Dieu, ce qui est passé et ce qui vient, car il faudrait une bonne dose d’ingratitude pour ne pas reconnaître les infinies bontés de Dieu pour nous. En effet, l’étape a été rude, la marche en avant rapide. Il a fallu prendre de graves décisions, engager l’avenir sans hésiter… A Écône, les religieuses se sont mises à la besogne avec beaucoup d’esprit de foi, exemple pour les aspirants en formation spirituelle. Les aspirants furent au nombre de onze, puis deux durent quitter, mais l’année a été bonne et généreuse, même si les santés laissent à désirer. Cependant l’événement qui a marqué l’année a été la décision prise, en des circonstances extraordinaires, d’organiser la formation complète. Dès novembre 1970, il fallait penser à la rentrée d’octobre 71 et savoir où nous abriterions ceux qui finiraient l’année de spiritualité. En principe, c’était à Fribourg dans un immeuble existant loué ou acheté, ou dans une future construction !… Nous voilà en quête, visites d’immeubles, examens de terrains. Or voici qu’on nous parle d’une maison appartenant aux Sœurs de Saint-Pierre Canisius à Saint-Antonin, à 11 km de Fribourg. La maison, le cadre nous plaisent beaucoup, mais il y a beaucoup de frais à faire dans la maison. Elle suffirait pour un an, puis il faudrait construire. Mais voilà que des difficultés surgissent au sujet de l’acquisition de la petite chapelle adjointe à l’immeuble, et du terrain qui nous relie à la route. Il faudra recourir à l’évêché. On sent une opposition qui se dessine pour nous donner ou vendre cette petite pièce de terre.

Entre-temps, les cours à l’Université ne donnent plus une aussi grande satisfaction, l’agitation grandit parmi les étudiants, l’avenir paraît donner raison au R.P. Philippe qui me disait dès le début : « Un jour proche viendra où vous devrez faire les cours par vous-même. » Or, me rendant à Écône, j’admirais le bienfait pour les jeunes de recevoir un enseignement vrai et simple, d’être dans un cadre de paix et non de contestation, d’être en pleine nature en ce Valais encore profondément croyant. Et je pensais : pourquoi ne pas réaliser le séminaire ici ? J’aurais eu le cœur serré d’envoyer ces braves jeunes gens dans un milieu en pleine contestation, où les professeurs eux-mêmes, certains d’entre eux du moins, n’enseignent plus la vérité.

Alors je passais aux consultations : Son Éminence le Cardinal Journet, Son Excellence Monseigneur Mamie, mes collaborateurs. Le Cardinal fut catégorique : l’Université ne convient pas à la majorité des séminaristes et ne favorise pas la discipline du séminaire. Si vous avez le choix, vous ne devez pas hésiter, envoyez à l’Université quelques sujets pour acquérir les grades. Monseigneur Mamie comprenait le bienfait d’un séminaire indépendant mais trouvait qu’il était difficile de le réaliser. Enfin mes collaborateurs étaient unanimes : le séminaire à Écône pour une formation saine et forte dans tous les domaines.

Restait l’autorisation de Son Excellence Monseigneur Adam. Son séminaire étant parti à Fribourg, Monseigneur accorde généreusement son placet. La décision était prise en ce début de janvier. Il ne fallait plus perdre de temps pour préparer les plans, désigner l’architecte etc. etc. Les décisions allaient bon train !… Le Seigneur, la Vierge Marie et saint Joseph étaient là. En ce mois d’octobre 71 cela devient une évidence. L’Université débute très mal avec le boycottage du cours d’un excellent professeur le R.P. Merhlé.

Et les inscriptions se multiplient. A Pâques la liste se clôt à trente. Les professeurs commencent à se présenter : le R.P. Thomas d’Aquin, puis le P. Dominique de la Presle, puis le R.P. Barrielle, le Chanoine Berthod, et enfin le R.P. Spicq qui acceptent de donner des cours ! Deo Gratias ! L’abbé Dubuis continue à venir. Ce sont neuf professeurs pour la rentrée de 1971 avec vingt-sept aspirants nouveaux.

Les bâtiments ne seront pas prêts, alors on se mettra deux par chambre et M. Fellay, le directeur si bienveillant de l’usine électrique, mettra des locaux à notre disposition en attendant. Ces bénédictions avec les deux ordinations sacerdotales nous attirent des jalousies et les attaques commencent de la part du clergé. Cependant le Cardinal Wright nous encourage fortement et nous envoie deux lettres élogieuses. C’est Rome qui nous bénit aussi. Que Dieu soit loué ! – 31 octobre 1971, Fête du Christ-Roi, »


Lettre d’information N° 25 – xx septembre 2020 | Source : Perspective catholique